Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/368

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partie à ses côtés, partie en arrière-garde, partie dispersés sur les flancs, tous regardant autour d’eux l’horizon, à mesure qu’ils cheminaient ; et, ainsi, Mohsèn et Djemylèh se voyaient comme seuls.

— Ne te repens-tu pas ? dit le jeune homme.

— De quoi ?

— De m’avoir aimé, de m’avoir cherché, de m’avoir suivi ?

— Tu serais mort, si je n’étais venue. Tu mourais.

— Ce serait fini peut-être à cette heure ; tu serais assise, paisible, dans ta maison, auprès de ta mère, entourée des tiens.

— Et tu serais mort ! poursuivit Djemylèh. Je t’aurais vu tous les jours que moi-même j’aurais vécu ; je t’aurais vu, sous mes yeux, dans mon cœur, ne pouvant pas même, à force de remords et de chagrins, te ranimer une seule seconde, et moi, je serais couverte de honte à mes propres yeux, lâche, fausse, odieuse à ce qui aurait pu deviner mon crime, meurtrière de ma tendresse, traîtresse au maître de mon âme. De quoi me parles-tu ? Et qu’imagines-tu donc de meilleur pour moi que ce que j’ai ? Mohsèn ! ma vie, mes yeux, ma pensée unique ! Tu crois donc que je ne suis pas heureuse depuis hier au soir ? Mais, songes-y donc ! Je ne t’ai pas quitté ! Je n’ai plus cessé d’être avec toi ! d’être à toi ! Chacun sait que je suis à toi ! Je ne puis être qu’à toi seul ! On parle de danger ! Mais, aussitôt, je suis là, avec toi, à côté de toi, contre