Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/370

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est dans ce qu’on chérit, rien ne passe inaperçu, rien ne se montre qui ne laisse trace sur le cœur, et, par lui, dans la mémoire. Ce regard ne tombe pas sur un caillou, dont la forme et la couleur ne restent pour jamais fixés dans le souvenir ; et l’hirondelle qui traverse l’espace au moment où une parole adorée retentit à votre oreille, vous la verrez toujours, toujours, jusqu’aux derniers moments de votre vie, passer rapide dans les cieux que vous aurez contemplés alors, et jamais oubliés. Non ! Mohsèn ne devait plus perdre l’impression de ce soleil qui se couchait à sa droite, derrière un bouquet d’arbres ; et quand Djemylèh lui dit, avec l’accent le plus tendre :

— Pourquoi me regardes-tu ainsi ? Et qu’il lui répondit :

— C’est parce que je t’adore !

Et qu’elle ajouta avec un air de tête enivrant :

— Tu crois ?…

À ce moment, Mohsèn s’aperçut que la manche de Djemylèh avait un reflet bleu, et cette sensation lui resta comme empreinte avec le feu dans la mémoire, au milieu de son délire.

Cependant, dans le palais de Kandahar, dans la maison d’Abdoullah-Khan, au logis de Mohammed-Beg et chez Osman, tout était en confusion au sujet des deux amants. Les deux frères, suivis chacun de son monde, s’étaient rencontrés dans le bazar, et Mohammed, exaspéré par l’ignorance où il était du sort de