Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/387

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donne peu d’émotions à l’âme, et c’est pourquoi les scènes les plus éblouissantes du Nouveau-Monde ne sauraient jamais égaler les moindres aspects de l’ancien.

Valerio avait emporté de Naples une lettre d’introduction pour un des ambassadeurs représentant d’une grande puissance. Le comte de P. le reçut à merveille et comprit d’abord à quel tempérament fin, pénétrant, impressionnable et rare il avait à faire. Lui-même était un de ces tempéraments. Il avait beaucoup vu, beaucoup éprouvé, beaucoup appris ; tout retenu. Sa mémoire et son cœur conservaient les vibrations persistantes des émotions anciennes, ce qui n’est pas un don commun. En un mot, à travers les émoussements des grandes affaires, il était demeuré capable de s’enthousiasmer pour quelqu’un ou pour quelque chose.

Le jeune ménage le charma. Ces deux hirondelles voyageuses, qui n’avaient plus d’abri et passaient effarées à travers le monde, lui inspirèrent de la sympathie. Il s’occupa de leurs intérêts, et, un matin, arrivant chez ses protégés, il leur prit la main à l’un et à l’autre, et leur tint le langage que voici  :

— Votre sort me paraît fixé pour le moment. Sachez que les derniers restes de générosité et de chevalerie, si bien éteints en Europe, subsistent encore ici dans l’âme de quelques Turcs de vieille roche. Bien entendu je vous parle de ces Ottomans qui ont connu les janissaires.