Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/386

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contempler Tenedos ? Pas à pas, les rivages rétrécis des Dardanelles s’éloignèrent devant les voyageurs, le bassin de Marmara s’ouvrit, et, au fond de cette coupe large et arrondie, apparut la hauteur majestueuse qu’embrassent les murs byzantins reliés par des tours innombrables, ceinture de Constantinople, enceinte d’où s’élève une forêt de minarets et de dômes au-dessus des cyprès nombreux au feuillage sombre, pareils eux-mêmes à des pyramides.

On a comparé l’aspect de Constantinople à celui de Naples. Quel rapport entre le plus charmant des tableaux de genre et la plus vaste page Historique que l’on connaisse, entre un chef-d’œuvre du Lorrain et un miracle du Véronèse ? On l’a comparé aussi à la baie de Rio-Janeiro. Mais qu’est-ce que cet enchevêtrement superbe d’innombrables bassins se succédant sous des montagnes déchiquetées, dont les nervures verticales hérissées de forêts semblent des orgues où se montre seule la nature physique, où aucun souvenir humain ne parle, où les yeux seuls sont étonnés, éblouis, qu’est-ce que cette opulence toute matérielle a de commun avec l’aspect de Constantinople, scène animée, magnifique, intelligente, éloquente, domaine du passé le plus grand, que peuplent à jamais les souvenirs, les sublimes créations du génie ? Qu’est-ce que le plus achevé des paysages anonymes et muets en face d’un spectacle si parlant ? Quand la nature physique n’est pas imprégnée de la nature morale, elle