Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/392

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donner à leurs sentiments simples et grands comme elle, que, jadis, à l’aurore des âges, l’avait pu faire, avant la période de la chute et du travail asservissant, le couple heureux du premier Paradis. Ils étaient, en effet, entrés dans une sorte d’Éden, car ils s’avançaient au milieu des vallées du Taurus.

Pendant plusieurs jours, les rives d’un fleuve large, calme, limpide, descendant avec majesté vers la mer, remontèrent devant leurs regards dans l’intérieur du pays. Des forêts épaisses couvraient la croupe des monts harmonieusement étagés. Des chalets de bois s’attachaient aux pentes et se montraient jusque sur les cimes ; des troupeaux erraient dans les pâturages herbeux et jetaient au vent les tintements de leurs clochettes. Au pied des arbres, énormes, aux écorces rugueuses, aux branchages luxuriants de verdure et audacieusement tourmentés, dont les racines jaillissaient brusquement hors de terre et étalaient sur leurs nervures toutes les variétés de mousses et de gazons, des fleurs innombrables, des pervenches surtout, étalaient complaisamment leurs corolles. Partout la vigueur et la fierté, partout la grâce et le charme. Les aigles et les faucons décrivaient leurs cercles de chasse au plus haut de la courbure des cieux. Des oiseaux chanteurs s’ébattaient gaîment sous la verdure. Des roches abruptes, s’élançant tout à coup du sein des bois, formaient au-dessus des nuées comme une vaste esplanade, d’où s’élevait quelque immense