Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/395

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façonné, il avait préféré laisser tomber son choix sur une esclave circassienne, qu’un marchand du Caucase, sujet russe, lui avait vendue assez cher. Cette jeune personne était jolie, savait le français, la géographie et jouait habilement sur le piano des valses et des contredanses. C’était plus qu’il n’en fallait pour assurer le bonheur domestique d’Osman Pacha. Ce bonheur était complet. La Hanoum, la dame, s’habillait à l’européenne et ne portait que des modes de Paris qu’elle faisait également porter à ses deux enfants, une fille et un garçon. Elle s’ennuyait à Erzeroum. Elle aurait voulu aller aux théâtres, au bal, au bois de Boulogne, aux courses de Chantilly, aux soupers du Café anglais. Le Journal des Modes lui avait révélé l’existence de ce monde enchanté et elle en rêvait. Pour les Asiatiques civilisés, l’idéal de la vie intelligente est, chez les hommes, la vie du club et, chez les femmes, celle du demi-monde. Osman Pacha et Fatmèh-Hanoum furent ravis de voir arriver Valerio et Lucie. C’était une distraction.

Elle ne dura que peu de jours. Erzeroum n’est pas une ville attrayante. Placée sur un plateau nu et élevé, les rues y sont livrées aux vents, froides, entourées d’une plaine maussade et stérile. Là, il pleut constamment ; le ciel y est gris. Valerio n’y resta que juste le temps de s’entendre avec le chef de la caravane qui partait pour la Perse et auquel il avait l’intention de confier sa destinée. Il congédia ses zaptyés, qui