Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/397

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charbons, des gâteaux, des pains très-minces et feuilletés, l’appareil pour faire le thé ou le café, des tasses, du laitage, quelque peu de mouton ou de volaille. On déjeunait. On allait, on venait ; les muletiers réunissaient les ballots, ils les couvraient de cordes ; et commençaient à charger les bêtes. De saints personnages criaient à haute voix des prières. Valerio se fit conduire auprès du chef des muletiers, après avoir laissé Lucie pour quelques instants auprès d’une famille turque qui allait à Bayazyd et à laquelle le pacha avait recommandé la jeune dame italienne.

Un chef de muletiers, un chef de caravane n’a pas de rang hiérarchique parmi les fonctionnaires publics d’aucun pays musulman. Ce n’en est pas moins un grand personnage, en un certain sens ; il jouit de deux privilèges bien rares dans le monde  : d’abord, il commande à tout ce qui l’approche, et son autorité n’est jamais mise en doute ; ensuite sa probité est toujours incontestée, et il est rare qu’elle ne soit pas incontestable.

En ce qui concerne Kerbelay-Houssein, le maître muletier auquel Valerio se trouva avoir affaire, ce dernier point était assuré. Il n’y avait qu’à le considérer avec un peu d’attention pour reconnaître immédiatement dans son visage les signes de l’intégrité native. Kerbelay-Houssein était un homme de taille moyenne, trapu, remarquablement fort ; la moitié de la figure couverte jusqu’aux pommettes d’une barbe noire, courte et frisée, des yeux francs et hardis,