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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/415

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mien, sa mère et la mienne, pleurant, sanglotant et jetant des cris à fendre l’âme, je ne pus supporter ce spectacle ; je l’embrassai sur la bouche, pour lui dire adieu à elle et à toutes mes espérances, et je m’élançai dans la rue. Comme je franchissais le seuil de la maison, et, que les yeux aveuglés par les larmes, je ne voyais pas ce que je faisais, je me heurtai contre quelqu’un qui me saisit brusquement dans ses bras.

— Qu’as-tu ? me dit-il, d’une voix rauque.

— Laissez-moi, répondis-je avec colère, je ne suis pas en humeur de parler à personne.

— Moi, je suis au monde, s’écria-t-il, pour parler aux affligés et les consoler. Raconte-moi ton mal, peut-être ai-je le remède.

Je regardai alors celui qui me retenait et je vis que c’était un vieux derviche à barbe blanche, l’air à la fois bienveillant et rude.

— Eh bien, mon père, répondis-je, la mort est dans cette maison. Laisse-moi aller maintenant, tu sais tout !

Et me débattant avec force, je le repoussai loin de moi et je m’enfuis. Pour lui, à ce que j’ai su plus tard, il ne fit aucun effort pour me retenir et entra vivement chez mes parents ; il pénétra dans la chambre où agonisait ma fiancée, écarta d’un geste les assistants, s’empara du bras de la malade et sans dire un seul mot, tira de sa poche une lancette. Il pratiqua une forte saignée ; puis, tandis que le sang coulait