Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/417

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dix fois le pèlerinage de Kerbela. Je l’ai fait neuf et je ne me sens plus en état d’accomplir ma dixième obligation. J’en ai un remords infini, ma vie est troublée et je ne serai sûr de ne pas être châtié après ma mort, comme doit l’être un parjure, que si quelqu’un d’entre vous consent à se substituer à moi et à se rendre auprès du tombeau des Saints Imans pour leur dire ceci, en se prosternant devant la pierre :

— Ô Saints Imans, martyrs sacrés de Kerbela, le derviche Daoud vient, en ma personne, baiser la poussière de votre sépulture !

— C’est moi qui ferai cela ! m’écriai-je, je vous le jure par votre tête et par la tête que vous avez sauvée ; et pas une des parcelles des mérites que peut comporter une aussi sainte action ne sera dérobée par moi de votre part ; tout vous reviendra, tout vous appartiendra et, plus tard, quand je serai revenu ici, j’irai une seconde fois et pour mon propre compte remercier les Imans d’avoir, par votre entremise, sauvé la vie à celle qui doit être ma femme.

Le derviche m’embrassa et je partis. J’accomplis son vœu et j’en tirai un certificat du gardien de la Mosquée sainte ; puis, je revins, je lui remis le document, dont il se montra très-satisfait et je me mariai.

Le jeune homme s’arrêta sur cette parole et sembla hésiter un instant ; mais Valerio s’aperçut que c’était parce qu’il luttait contre l’émotion. En effet, il reprit, après un peu de temps, d’une voix basse et tremblante :