Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/65

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dant, on reste là, assis sur la grève ; des heures entières s’écoulent et l’on a peine à s’éloigner. Il en est ainsi de la séduction opérée sur les sens par les évolutions des danseuses de l’Asie. Il n’y a point de variété, il n’y a point de vivacité, ou ne verra que rarement un mouvement subit, mais il s’exhale de ce tournoiement cadencé une torpeur, dont l’âme s’accommode et où elle se complaît comme dans une ivresse amenant un demi-sommeil.

Puis, la puissante danseuse se mut lentement sur le parquet, en étendant à moitié ses bras arrondis ; elle ne marchait pas ; elle glissa par une vibration imperceptible ; elle s’avança vers les spectateurs, et passant lentement près de chacun, donna à chacun une sorte de frisson en lui laissant croire, espérer peut-être qu’elle allait lui accorder un signe d’attention. Elle n’en fit rien. Seulement, quand elle fut devant les deux Musulmans, elle leur laissa soupçonner un nouvel indice bien apprécié de sa déférence, de sa partialité, en doublant la durée du temps d’arrêt très-court dont elle avait flatté les autres, ce qui fut vivement senti et applaudi ; car, dans cette danse discrète, la moindre nuance ressort avec précision. Quand la musique s’arrêta, l’enthousiasme des spectateurs éclata en applaudissements. Moreno seul restait froid. On ne goûte pas ces sortes de choses à la première vue, et le plaisir causé par les divertissements nationaux exige, en tous les pays, une expé-