Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/66

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rience et une initiation. Il n’en fut pas ainsi d’Assanoff ; son exaltation s’exprima d’une manière tout à fait inattendue.

— Pardieu ! dit-il, je suis un homme civilisé et j’ai été à l’École des cadets, à Saint-Pétersbourg ; mais je veux bien que le diable m’emporte si, dans l’Europe entière, on trouve rien d’égal à ce que nous venons de voir ! Je demande que quelqu’un d’ici danse la lesghy avec moi. N’y a-t-il plus une seule goutte de sang dans les veines de personne ? Êtes-vous tous abrutis ou tous Russes ?

Un officier tatar, engagé dans l’infanterie, se leva et vint prendre Assanoff par la main.

— Allons, dit orgueilleusement le fantassin, Mourad, fils de Hassan-Bey, si tu es fils de ton père, montre ce que tu sais !

L’ingénieur lui répondit par un coup d’œil dont Moreno n’avait jamais vu l’expression à la fois dure et sauvage, mais pleine de flammes, et, dans leurs capotes d’uniforme, les deux tatars se mirent à danser la lesghy. La musique avait vigoureusement attaqué la mélodie barbare particulière à ce pas. Ce n’était rien de langoureux, ce n’était rien de languissant. Hassan, fils de Mourad, n’était plus ivre ; il semblait le fils d’un prince et prince lui-même. On l’eût pris pour un des soldats de l’ancien mongol Khoubilaï ; le tambourin sonnait, palpitait avec ardeur, avec un emportement de cruauté et de conquête. Les assistants, à l’exception