Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/68

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il n’est pas moins avili, quoiqu’il ait dansé comme un homme ! Mais, vois-tu, il y a pourtant des moments encore où, si bas qu’on ait le cœur, on le sent qui se relève, et le jour n’est pas venu où un tatare verra danser les filles de son pays sans que des larmes de sang se forment sous sa paupière !

Des larmes de sang se formaient peut-être là où disait Assanoff ; mais comment le savoir ? Ce qui est certain, c’est que, de vrai, de gros pleurs roulaient sur sa joue. Il les essuyait rapidement d’une main, avant qu’on eût eu le temps de les remarquer, quand il se sentit prendre l’autre ; il se retourna et vit Omm-Djéhâne. Elle lui dit rapidement, en français :

— Cette nuit ! deux heures avant le destèh ! à ma porte ! ne frappe pas !

Elle s’écarta aussitôt ; quant à lui, cette parole d’une belle personne, d’une personne qui avait passé jusqu’alors pour insensible et parfaitement invincible, et qui était comme la gloire des danseuses de la ville, précisément parce qu’elle consentait peu à montrer ses talents, cette charmante parole le rendit subitement à la civilisation que, depuis quelques minutes, il paraissait oublier d’une façon si complète, et, passant son bras sous celui de Moreno, il entraîna l’officier espagnol à quelques pas et lui murmura dans l’oreille :

— Peste ! je suis un heureux coquin ! J’ai un rendez-vous !

— Avec qui ?