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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/67

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de l’Espagnol, étaient possédés par le vin et l’eau-de-vie et n’avaient ni entendu les paroles d’Assanoff, ni compris rien aux émotions qui l’agitaient. Tout ce qu’on savait de cette scène, en définitive, étrange, c’est que l’ingénieur dansait la lesghy à merveille, et ce drame qui figure la bataille, le meurtre, le sang et, partant, la révolte, se jouait devant ces conquérants, sans qu’ils songeassent le moins du monde à en comprendre, encore bien moins à en redouter le sens. Seul, Don Juan restait stupéfait de l’expression nouvelle répandue sur les traits d’Assanoff, et, quand la danse se fut terminée au milieu des trépignements de joie de tous les officiers russes, et que l’attention générale fut distraite par l’entrée dans la salle d’un assez grand nombre de domestiques apportant de nouvelles pipes, du thé et de l’eau-de-vie, il attira son ami dans un coin de la chambre qui se trouvait être celui où étaient les danseuses, toutes debout pendant la lesghy, et lui dit à demi-voix :

— Es-tu fou ? Qu’est-ce que c’est que cette comédie-là, que tu viens de jouer ? Pourquoi te donnes-tu en spectacle ? Si tu aimes ton pays, ne peux-tu le témoigner autrement que par des convulsions ?

— Tais-toi, lui répondit brusquement Assanoff, tu ne sais ce dont tu parles ! Il est des choses que tu ne peux pas connaître ! Certes, je suis un lâche, je suis un misérable, et le dernier des hommes est cet infâme coquin de Djemiloff, qui vient de danser avec moi,