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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/76

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assez forte ! Six mois plus tard, je lui tuais ses deux filles !

— Tu n’y vas pas de main morte, dit Assanoff en riant. Heureusement que tu t’es laissé deviner, et on t’a chassée à propos.

Il parlait d’un ton léger qui ne contrastait pas mal avec celui de la minute précédente. Omm-Djéhâne le considéra une seconde sans souffler mot, puis elle étendit le bras sur le divan, prit un târ, une mandoline tatare qui était jetée là, et, d’un air distrait, se mit à l’accorder ; peu à peu, sans paraître y vouloir mettre aucune intention, elle commença à jouer et à chanter. Sa voix était d’une douceur infinie et pénétrante à l’extrême. Elle chanta d’abord très-bas et à peine l’entendait-on. Il semblait que ce n’étaient que des accords isolés, des notes se suivant sans qu’aucune intention les enchainât les unes aux autres. Insensiblement, un air déterminé se détacha de cette mélodie indistincte, absolument comme du fond d’un brouillard naît, s’avance peu à peu et se fait reconnaître une apparition éthérée. Saisi par une émotion irrésistible, par une curiosité violente, par un souvenir tout puissant, Assanoff releva la tête et écouta. Oh ! il était visible qu’il écoutait de toutes ses oreilles et de toute son intelligence, de tout son cœur, de toute son âme !

Au chant se mêlèrent bientôt des paroles. C’était une poésie lesghy ; c’était, précisément, l’air que les filles de la tribu chantaient avec le plus de plaisir et le plus