Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/75

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dement ; ne disputons pas là-dessus à tort ou à raison, mais, dans tous les cas, sans qu’on m’ait demandé avis, on a fait de moi un homme civilisé ; je le suis devenu. Il faut que je le reste. Tu ne me prouveras pas que je fasse aucun mal, en vivant à la façon de mes camarades. D’ailleurs, pour ne te rien cacher, je m’ennuie ; je ne sais pas pourquoi, rien ne me manque, tout me manque. Si une balle veut de moi, je l’épouse. Si l’eau-de-vie m’emporte, grand bien lui fasse ! C’est tout ce que je désire… Tiens ! Omm-Djéhâne, je suis content de te voir. Pourquoi n’es-tu pas restée chez la générale ? Cela valait mieux que cette maison.

— Cette femme, répondit la danseuse avec l’accent de la haine et du mépris, cette femme ! Elle a eu l’insolence de déclarer plusieurs fois, et devant moi, qu’elle voulait remplacer ma mère ! Elle a dit plusieurs fois, et devant moi, que les lesghys n’étaient que des sauvages, et, un jour où je lui ai répondu que leur sang était plus pur que le sien, elle a ri. Cette femme, elle m’a pris une fois par le bras et mise hors de la chambre comme une servante, parce que j’étais montée sur un fauteuil, étant trop petite pour atteindre à leurs idoles, les jeter en bas ! D’ailleurs, tu le sais bien ! c’est son mari qui avait mené les troupes contre notre aoûl !

Omm-Djéhâne se tut une minute, et tout à coup s’écria :

— Je n’attendais que le jour où je me sentirais