Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/79

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dans ses cheveux, et, à travers les larmes qui obscurcissaient ses regards, suivit avec une avidité douloureuse les mouvements de la danse, absolument comme il avait fait pour Forough-oul-Husnêt, mais avec bien plus d’anxiété, bien plus de passion, on le peut croire. Et ce qui est vrai également, c’est qu’Omm-Djéhâne dansait d’une bien autre manière que sa maîtresse ! Ses pas signifiaient plus, ses gestes, encore plus réservés, saisissaient davantage ; c’était la danse de l’aoûl, c’était la chanson de l’aoûl ; il sortait de la personne entière de la jeune fille une sorte de courant électrique enveloppant de toutes parts son parent. Soudain, brusquement, elle s’arrêta, cessa de chanter, jeta le târ sur les coussins, et s’accroupissant à côté d’Assanoff et lui jetant les bras autour du cou :

— Te souviens-tu ? dit-elle.

Il sanglotta tout à fait, poussa des cris d’angoisse, cacha sa tête dans le sein et entre les genoux de sa cousine. C’était pitié que de voir ce grand garçon secoué par une pareille douleur.

— Tu te souviens donc ? poursuivit la lesghy. Tu vois comme tu me retrouves ? J’ai été la servante des Francs, je me suis enfuie ; j’ai été la servante des Musulmans, on m’a battue ; j’ai couru les bois ; j’ai failli mourir de faim et de froid ; je suis ici, je n’y veux pas rester… tu comprends bien pourquoi… Toi-même, pourquoi es-tu venu cette nuit ? Vois-tu, tu comprends bien ? On veut me vendre à un Kaïmakam, quelque part