Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/91

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et à gauche, cherchant visiblement à se soustraire à un malaise ; enfin, cette cause nouvelle de désordre, achevant de mettre le trouble dans ses facultés, il tomba sur le lit et ne bougea plus. Alors Omm-Djéhâne se tourna vers Moreno et lui dit froidement :

— Monsieur, vous devez être satisfait. Je vois et vous voyez aussi votre ami hors d’état de faire la folie dont vous aviez peur. Je vous félicite. C’est un homme encore plus civilisé que je ne le croyais. Il vient de renier son père, il vient de frapper sur la mémoire de la femme qui l’a mis au monde ! Vous l’avez entendu insulter sa famille, et ce qu’est son pays à ses yeux, il vous l’a confessé. Pour moi, je ne peux pas deviner pourquoi le ciel nous a épargnés, l’un et l’autre, dans la destruction de la tribu ; moi qui suis une femme, pour me mettre dans la poitrine le cœur qu’il aurait dû avoir, et lui, en lui donnant la lâcheté dont je n’aurais pas dû rougir ! Enfin, les choses sont ainsi ; nous ne les changerons pas. Dieu m’en est témoin ! Depuis que je me connais, je n’ai jamais eu qu’un désir : celui de le voir, celui-là même qui est là couché, celui qui est là aplati comme une bête immonde ! Oui ! Dieu le sait ! Le sachant vivant, je me répétais dans mes plus grandes souffrances : Tout n’est pas perdu ! Rien n’est perdu ! Il vit, Mourad ! Il viendra à mon aide !… Je me rappelle, entre autres, une certaine nuit des plus misérables dans ma misérable existence ; j’étais seule au fond d’un bois, accroupie entre des racines d’arbres :