Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/92

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je n’avais mangé depuis deux jours qu’un morceau de biscuit gâté, jeté par des soldats au bord d’un campement ; c’était l’hiver ; la neige tombait sur moi. Je consultais mon chapelet, et le sort infaillible me répétait : Tu le reverras ! tu le reverras ! Et, au fond horrible de mon épouvantable misère, l’espérance me soutenait. Tous les jours, depuis ce temps, je me disais : Je le reverrai ? Mais où ? mais quand ? L’istikharèh me disait que c’était bientôt, que c’était ici. Je suis venue ici. Hier, j’ai été avertie de même. J’étais assurée que le moment approchait et, en vérité, je l’ai vu, le voilà, vous le voyez aussi ! Vous qui êtes un Européen, vous êtes fier, sans doute, de ce que vos pareils en ont fait, pour moi, qui ne suis qu’une barbare… vous me permettrez d’être d’un autre avis. Gardez-le donc ! Il ne me retrouvera pas au milieu des guerriers de sa nation, il ne combattra pas pour venger son pays, je ne dirai pas pour l’affranchir, je sais que ce n’est plus possible. Il ne protégera pas sa cousine, la dernière, l’unique fille de sa race, il ne la tirera pas de la misère et du désespoir. Non ! non ! non ! Il l’y replonge ! Adieu, monsieur, et si la malédiction d’un être faible et qui ne vous avait jamais fait de mal peut être de quelque poids dans la balance de votre destinée, qu’elle y pèse tout ce que…

— Non, Omm-Djéhâne, non ! Ne me maudissez pas, je ne le mérite point ! Pardonnez-moi les paroles mal sonnantes dont j’ai usé envers vous, je ne vous con-