Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/94

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vrit son visage, s’avança vers la porte et là, s’arrêtant un instant sur le seuil, elle se retourna vers Moreno et lui dit avec l’emphase que les Asiatiques mettent à prononcer de telles paroles :

— Que la bénédiction de Dieu soit sur elle !

L’officier fut touché jusqu’au fond du cœur. Omm-Djéhâne avait disparu. Assanoff ronflait comme une toupie. L’ordonnance vint dire que les chevaux étaient attelés et que le tarantass attendait ; on transporta l’ingénieur dans la voiture, et, partant au galop, les deux amis sortirent de Shamakha, laissant bientôt cette petite ville se perdre loin derrière eux dans les tourbillons de poussière que leurs quatre roues soulevaient avec impétuosité.

Le paysage, en avant et en arrière de Shamakha, du côté de Bakou, est d’une grandeur et d’une majesté singulières. Ce n’est plus précisément l’aspect ordinaire du Caucase. Là, abondent les escarpements farouches, les forêts pleines d’ombres et d’horreurs, les vallées où le soleil s’aventure et ne reste pas ; les torrents énormes tombant par nappes épaisses sur des rochers géants, et, dans leur lutte avec ces masses, s’éparpillant en écume et en courants furieux ; des défilés resserrés, étouffants ; des gorges comme celles du Sourâm, dont les pentes, les hauteurs, les vertiges rappellent ce qu’on lit dans les contes ; puis, au travers de tout cela, des rivières paresseuses ; ce sont elles qui font la transition de ces tableaux tourmentés avec