Page:Gobineau - Scaramouche - 1922. djvu.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

étant vulgaires, sont ennuyeux et, puisque je n’ai pas assez d’imagination pour te jeter sur la scène de mon récit d’une manière un peu neuve, j’aime mieux ne pas commencer du tout et t’avertir tout bonnement que Matteo Cigoli était, de l’aveu général, le meilleur garçon, le plus gai, le plus actif et le plus spirituel qu’eût produit son village, situé à quelques lieues de Bologne. Au moment où nous le ramassons sur la grand-route, il est dix heures du matin ; le soleil brûle la poussière et Matteo vient de faire ses adieux à monsieur son père. Que de tendresse dans ces adieux !

— Jeune homme, lui a dit le patriarche, grand et fort comme tu es, tu manges trop ; va te nourrir ailleurs. Surtout sois vertueux et que je ne te revoie jamais, sinon…

Ici l’orateur avait tracé du pied et de la main une sorte d’hiéroglyphe plus compréhensible que ceux de feu Champollion ; puis il avait ajouté :

— Voici un bâton et ta gourde pleine de vin. Bonjour.

Matteo, vivement stimulé par le geste de l’auteur de ses jours, était parti au pas de course. Et le voilà, avec ses dix-huit ans, lancé dans le monde, comme jadis Sixte-Quint, Giotto, Salvator, Pierre de Cortone et tant d’autres. Marche, ô Matteo ! je ne doute pas qu’il ne t’arrive plus d’une étonnante aventure !

J’achève en hâte mon invocation, car je m’aperçois que mon héros a rejoint sur la grand-route un vaste chariot qui se traîne paresseusement