Page:Gobineau - Scaramouche - 1922. djvu.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

La carriole continua sa route du même pas trainard qu’auparavant, mais la présence de Matteo avait ranimé la conversation prête à s’éteindre. Il narra sa courte et prosaïque biographie, et il eut la satisfaction d’entendre la jeune femme sur les genoux de laquelle il avait fait son entrée dans le chariot s’écrier : "Poverino ! " d’une manière toute compatissante. Ensuite il s’enquit d’une voix timide de la profession de ses nouveaux amis.

— Corpo di Baccho ! s’écria le gros cocher, il faut que tu sois un rustre bien ignorant et bien peu favorisé de la fortune pour ne pas nous connaître. Jeune homme ! je suis Polichinelle ; ce monsieur brun et sec est l’honnête et bergamasque Arlequin ; Pizzi, lève ton nez et montre à ce brave garçon la face extravagante de l’honnête Tartaglia. Tu viens d’écraser le pied de l’Amour ; c’est sur les genoux de Colombine que tu es tombé, et, quant à cette vénérable matrone qui surcharge de son poids l’arrière de notre brouette, elle n’est artiste que dans les grandes circonstances ; d’ordinaire elle reçoit l’argent à la porte. Découvre-toi cependant, Matteo Cigoli, dame Barbara a produit deux chefs-d’œuvre : Colombine et moi !

Matteo ne put assez se féliciter en lui-même d’être, dès son début, tombé dans la société d’aussi augustes personnages ; il devint fort gai, partant spirituel, et se concilia l’affection de toute la société, à l’exception de Tartaglia, qui en lui-même trouva ridicules les regards que le nouvel arrivé jetait fréquemment du côté de Colombine.