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Page:Gobineau - Scaramouche - 1922. djvu.djvu/24

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car, à seize ans, on n’aime pas à perdre un ami ; elle lui conseilla de se défier de cette passion, n’augurant rien de favorable d’une femme aussi mystérieuse ; et enfin elle lui dit avec un gros soupir :

— Travaille ta voix, mon bon Matteo, réussis et pense à nous.

Scaramouche profita beaucoup avec les nouveaux maîtres qu’il se donna. La danse surtout et l’escrime firent de lui un des hommes les plus élégamment gracieux qui se pussent voir. Il n’apprit pas moins bien la grammaire et la belle prononciation toscane ; bientôt on n’eût pu le reconnaître pour le grossier comédien qui, à un an de là, était arrivé à Venise. Non ; sa main, désormais blanche et délicate, devint habile à faire naître l’harmonie sur le luth et sur la guitare, sur le violon et sur la difficile épinette. Sa voix incisive et sonore, dirigée par un maître célèbre et par son goût naturel, atteignit bientôt un grand degré de souplesse. Enfin la nouvelle de ses progrès se répandit de jour en jour par toute la ville où Scaramouche était adoré, et le bruit d’une heureuse semaine fut que le sans égal Matteo Cigoli, quittant les planches de la comédie, allait débuter sur la scène plus noble de l’Opéra, au théâtre de Saint-Jean-Chrysostome.

Et c’était l’amour qui avait opéré cette merveille. Si j’étais un écrivain classique, je pourrais ajouter une phrase plus ou moins fleurie, dont le sens serait : le petit drôle en a fait bien d’autres.