Page:Gobineau - Scaramouche - 1922. djvu.djvu/52

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Un moment après, Scaramouche s’inclinait devant le prince.

— Je t’aime, lui dit son souverain, et je crois t’en avoir donné mille preuves. Par toi, mes soirées sont devenues charmantes, piquantes et variées au-delà de toute expression ; comme auteur, tu es sans égal ; comme musicien, sans rival ; et même comme conseiller privé, je fais cas de tes avis, bien que tu n’aies point de titre officiel qui t’oblige à me les donner. Rien ne me coûterait plus que de me séparer de toi. Croirais-tu cependant, mon pauvre ami, que la comtesse Bernardina ne peut pas te souffrir ? Son antipathie est décidée, et ses boutades à ton sujet sont tellement vives que, tout en la blâmant, je ne puis m’empêcher d’en rire ; car tu connais toute la grâce et la causticité de son esprit. Je sais que tu vas encore m’objecter ses avances repoussées par toi, et ta chasteté vis-à-vis de cette belle amoureuse… S’il faut te dire la vérité, je ne crois pas un mot de cette histoire-là ! Laisse-moi parler !…

Quoi qu’il en soit, Bernardina veut que tu t’en ailles. Tu comprends bien que j’ai résisté avec énergie, avec emportement même ; mais enfin la femme qu’on adore - tu le sais, pardieu ! comme moi - est une divinité qui n’admet pas la discussion de ses ordres : aussi faut-il que tu partes. Il m’en coûte, et beaucoup ; j’ai le cœur déchiré ; ton aspect me fait un mal que je ne puis te dire. Adieu donc, mon pauvre Scaramouche ; épargne à un prince qui t’aime de pénibles explications ; de loin comme de près, je garderai