Page:Gobineau - Scaramouche - 1922. djvu.djvu/53

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le vif souvenir des moments agréables que je t’ai dus. Adieu, adieu…

Ce disant, le grand-duc tendit la main à Matteo, qui, plongé dans la stupeur la plus profonde, la baisa machinalement, et il disparut.

Ce qui distingue tout homme habitué aux brusques revirements de la fortune, et, partant, tout homme vraiment digne de ce titre si estimé des anciens Grecs, c’est la facilité avec laquelle il accepte les coups les plus funestes. Scaramouche tourna sur ses talons sans rien dire et se mit en devoir de regagner son logis. Ses camarades, qui, par hasard, s’y trouvaient réunis au grand complet, n’apprirent pas sans le plus vif chagrin la désastreuse nouvelle qu’il apportait ; elle était d’autant plus inopportune qu’avec son imprévoyance habituelle la digne compagnie avait d’avance dilapidé les traitements échus et à échoir, et contracté des dettes pour plusieurs milliers de livres.

Or, le prince, en renvoyant les comédiens, ne leur donnait pas un sou. Dame Barbara le qualifia de tyran et de sangsue du pauvre peuple ; mais cela ne détruisait nullement la difficulté, tout en prouvant que le bonheur public n’était pas indifférent à l’antique comédienne. Chacun ne manqua pas de proposer son moyen pour sortir de cette terrible gêne ; mais, suivant l’usage, le moins extravagant de ces moyens était encore inexécutable. Enfin on venait d’arrêter le plan d’une représentation extraordinaire au profit des pauvres et que devait défrayer une pièce à grand succès,