Page:Gobineau - Souvenirs de voyage. Cephalonie, Naxie, et Terre-Neuve , 1872.djvu/210

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licatesse de nature qui lui sembla presque angélique, en même temps que l’accent un peu aigre de la voix, le plus souvent timbrée par l’ironie, lui parut indiquer, d’une manière certaine, l’expression de pensées décidément supérieures. Ce qui était fort, étant constamment sous ses yeux, lui paraissait vulgaire. Une nature mince et débile devait être le comble de la distinction, et avec cette rapidité d’expression, de sentiment, de résolution qui envahit les êtres voués à la solitude et à la monotonie, elle décida que Charles Cabert était, à n’en pas douter, une créature d’élite, sinon venue du ciel, du moins parente de celles qui en étaient venues, et que le plus souverain bonheur qui pouvait échoir à une femme dans ce monde et dans l’autre devait être de se voir aimée d’un pareil héros de roman.

Quand, dans les villes d’Europe, une jeune fille bien née est, par hasard, touchée d’une intuition de cette espèce, elle sait qu’elle n’a qu’une chose à faire, qu’elle n’a au monde qu’un devoir, et un devoir le plus impérieux de tous les devoirs, c’est de penser ce qu’elle peut, mais, avant tout et surtout,