Page:Gobineau - Souvenirs de voyage. Cephalonie, Naxie, et Terre-Neuve , 1872.djvu/209

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très frappé de ce qu’il venait d’entendre, et cela lui fit éclore un monde d’idées.

Enfin on cessa de tenir table, on entra dans le parloir, et Charles resta seul avec la jeune maîtresse de la maison. Il était manifeste que Barton ne voyait dans son visiteur qu’un étranger, chasseur de caribous, dont il s’était chargé par obligeance et par ce goût fastueux d’hospitalité, ordinaire à tous les hommes lorsqu’ils ont peu d’occasion de l’exercer. Mais l’impression produite par la vue du Français sur l’esprit de la jeune fille avait été, dès l’abord, d’une nature différente, et, pour être sincère, il faut avouer que, dans son âme et conscience, Lucy lui avait rendu pleine justice et l’avait trouvé charmant. Comme Cabert ne ressemblait en aucun point aux hommes qu’elle avait pu voir jusqu’alors, il représentait pour elle, à un degré suprême, cette apparition de l’inconnu, toujours si puissante sur les imaginations féminines. Il était de taille médiocre, et elle ne connaissait que des géants ; sa figure un peu pâle, ses cheveux fins et rares, sa moustache à peine dessinée, ses favoris clairsemés donnaient à la jeune Irlandaise l’idée d’une dé-