Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos doctrines religieuses, que tout y progresse par un mouvement aussi propre, aussi franc, aussi naturel qu’on le voit dans nos États ; un seul lieu où l’imprimerie produise des effets analogues à ce qui est chez nous, où nos sciences se perfectionnent, où des applications nouvelles de nos découvertes s’essayent, où nos philosophies enfantent d’autres philosophies, des systèmes politiques, une littérature, des arts, des livres, des statues et des tableaux !

Non ! je ne suis pas si exigeant, si exclusif. Je ne demande plus qu’avec notre foi un peuple embrasse tout ce qui fait notre individualité ; je supporte qu’il la repousse ; j’admets qu’il en choisisse une toute différente. Eh bien ! que je le voie du moins, au moment où il ouvre les yeux aux clartés de l’Évangile, comprendre subitement combien sa marche terrestre est aussi embarrassée et misérable que l’était naguère sa vie spirituelle ; que je le voie se créer à lui-même un nouvel ordre social à sa guise, rassemblant des idées jusqu’alors restées infécondes, admettant des notions étrangères qu’il transforme. Je l’attends à l’œuvre ; je lui demande seulement de s’y mettre. Aucun ne commence. Aucun n’a jamais essayé. On ne m’indiquera pas, en compulsant tous les registres de l’histoire, une seule nation venue à la civilisation européenne par suite de l’adoption du christianisme, pas une seule que le même grand fait ait portée à se civiliser d’elle-même lorsqu’elle ne l’était pas déjà.

Mais, en revanche, je découvrirai dans les vastes régions de l’Asie méridionale et dans certaines parties de l’Europe, des États formés de plusieurs masses superposées de religionnaires différents. Les hostilités des races se maintiendront inébranlablement à côté, au milieu des hostilités des cultes, et l’on distinguera le Patan devenu chrétien de l’Hindou converti, avec autant de facilité que l’on peut séparer aujourd’hui le Russe d’Orenbourg des tribus nomades christianisées au milieu desquelles il vit. Encore une fois, le christianisme n’est pas civilisateur, et il a grandement raison de ne pas l’être.