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CHAPITRE VIII.

Définition du mot civilisation ; le développement social résulte d’une double source.

Ici trouvera sa place une digression indispensable. Je me sers à chaque instant d’un mot qui enferme dans sa signification un ensemble d’idées important à définir. Je parle souvent de la civilisation, et, à bon droit sans doute, car c’est par l’existence relative ou l’absence absolue de cette grande particularité que je puis seulement graduer le mérite respectif des races. Je parle de la civilisation européenne, et je la distingue de civilisations que je dis être différentes. Je ne dois pas laisser subsister le moindre vague, et d’autant moins que je ne me trouve pas d’accord avec l’écrivain célèbre qui, en France, s’est spécialement occupé de fixer le caractère et la portée de l’expression que j’emploie.

M. Guizot, si j’ose me permettre de combattre sa grande autorité, débute, dans son livre sur la Civilisation en Europe, par une confusion de mots d’où découlent d’assez graves erreurs positives. Il énonce cette pensée que la civilisation est un fait.

Ou le mot fait doit être entendu ici dans un sens beaucoup moins précis et positif que le commun usage ne l’exige, dans un sens large et un peu flottant, j’oserais presque dire élastique et qui ne lui a jamais appartenu, ou bien, il ne convient pas pour caractériser la notion comprise dans le mot civilisation. La civilisation n’est pas un fait, c’est une série, un enchaînement de faits plus ou moins logiquement unis les uns aux autres, et engendrés par un concours d’idées souvent assez multiples ; idées et faits se fécondant sans cesse. Un roulement incessant est quelquefois la conséquence des premiers principes ; quelquefois aussi cette conséquence est la stagnation ; dans tous les cas, la civilisation n’est pas un fait, c’est un faisceau de faits et d’idées, c’est un état dans lequel une société