Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/128

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bien grandes. J’arrive à celles dont le principe constitutif possède une virtualité si forte, qu’il relie et enserre tout ce qui avoisine son centre d’action, se l’incorpore et élève sur d’immenses contrées la domination incontestée d’un ensemble d’idées et de faits plus ou moins bien coordonné, en un mot ce qui peut s’appeler une civilisation. La même différence, la même classification que j’ai fait ressortir pour les deux premiers cas, se retrouve ici tout entière, bien plus reconnaissable encore ; et même ce n’est qu’ici qu’elle porte des fruits véritables, et que ses conséquences ont de la portée. Du moment où, de l’état de peuplade, une agglomération d’hommes étend assez ses relations, son horizon, pour passer à celui de peuple, on remarque chez elle que les deux courants, matériel et intellectuel, ont augmenté de force, suivant que les groupes qui sont entrés dans son sein et qui s’y fusionnent appartiennent en plus grande quantité à l’un ou à l’autre. Ainsi, quand la faculté pensive domine, il arrive tels résultats ; quand c’est la faculté active, il s’en produit tels autres, La nation déploie des qualités de nature différente, suivant que règne celui-ci ou celui-là des deux éléments. On pourrait ici appliquer le symbolisme hindou, en représentant ce que j’ai appelé le courant intellectuel par Prakriti, principe femelle, et le courant matériel par Pouroucha, principe mâle, à condition toutefois, bien entendu, de ne comprendre sous ces mots qu’une idée de fécondation réciproque, sans mettre d’un côté un éloge et de l’autre un blâme (1)[1].

On remarquera, en outre, qu’aux différentes époques de la vie d’un peuple et dans une stricte dépendance avec les inévitables mélanges du sang, l’oscillation devient plus forte entre les deux principes, et il arrive que l’un l’emporte alternativement sur l’autre, Les faits qui résultent de cette mobilité sont

  1. (1) M. Klemm (Allgemeine Kulturgeschichte der Menschheit, Leipzig, 1840) imagine une distinction de l'humanité en races actives et races passives. Je n’ai pas eu ce livre entre les mains, et ne puis savoir si l'idée de son auteur est en rapport avec la mienne. Il serait naturel qu'en battant les mêmes sentiers, nous fussions tombés sur la même vérité.