Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/211

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dans l’empire d’Annam et au Japon[1] que dans l’Europe actuelle, a-t-elle, par hasard, donné aux peuples de ces contrées une civilisation même passable ? Ils ont cependant des livres, beaucoup de livres, des livres qui se vendent à bien plus bas prix que les nôtres. D’où vient que ces peuples soient si abaissés, si faibles, si rapprochés du degré où l’homme civilisé, corrompu, faible et lâche, ne vaut pas, en puissance intellectuelle, tel barbare qui, l’occasion s’offrant, va l’opprimer[2] ? D’où cela vient-il ? Uniquement de ce que l’imprimerie est un moyen, et non pas un principe. Si vous l’employez à reproduire des idées saines, vigoureuses, salutaires, elle fonctionnera de la manière la plus fructueuse, et contribuera à soutenir la civilisation. Si, au contraire, les intelligences sont tellement abâtardies que personne n’apporte plus sous les presses des œuvres philosophiques, historiques, littéraires, capables de nourrir fortement le génie d’une nation ; si ces presses avilies ne servent plus qu’à multiplier les malsaines et venimeuses compositions de cerveaux énervés, les productions empoisonnées d’une théologie de sectaires, d’une politique de libellistes, d’une poésie de libertins, comment et pourquoi l’imprimerie sauverait-elle la civilisation ?

On suppose sans doute que, par la facilité avec laquelle elle peut répandre en grand nombre les chefs-d’œuvre de l’esprit, l’imprimerie contribue à les conserver, et même, dans les temps où la stérilité intellectuelle ne permet pas de leur donner de rivaux, de les offrir au moins aux méditations des gens

  1. M. J. Mohl, Rapport annuel à la Société asiatique, 1851, p. 92 : « La librairie indienne indigène est extrêmement active, et les ouvrages qu’elle fournit n’entrent jamais dans la librairie européenne même de l’Inde. M. Sprenger dit, dans une lettre, qu’il y a dans la seule ville de Luknau treize établissements lithographiques uniquement occupés à multiplier les livres pour les écoles, et il donne une liste considérable d’ouvrages dont probablement aucun n’est parvenu en Europe. Il en est de même à Dehli, Agra, Cawnpour, Allahabad et d’autres villes. »
  2. Les Siamois sont le peuple le plus déhonté de la terre. Ils gisent au plus bas degré de la civilisation indo-chinoise ; cependant ils savent tous lire et écrire. (Ritter, Erdkunde, Asien, t. III, p. 1152.)