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la neige et la pluie conjurés. Pauvre humanité ! elle n’est jamais parvenue à inventer un moyen de vêtir tout le monde et de mettre tout le monde à l’abri de la soif et de la faim. Certes le moindre des sauvages en sait plus long que les animaux ; mais les animaux connaissent ce qui leur est utile, et nous l’ignorons. Ils s’y tiennent, et nous ne le pouvons garder, quand parfois nous l’avons découvert. Ils sont toujours, en temps normal, assurés, par leurs instincts, de trouver le nécessaire. Nous, nous voyons de nombreuses hordes qui, depuis le commencement des siècles, n’ont pu sortir d’un état précaire et souffreteux. En tant qu’il n’est question que du bien-être terrestre, nous n’avons de mieux que les animaux, rien de mieux qu’un horizon plus étendu à parcourir, mais fini et borné comme le leur.

Je n’ai pas assez insisté sur cette triste condition humaine, de toujours perdre d’un côté quand nous gagnons de l’autre ; c’est là cependant le grand fait qui nous condamne à errer dans nos domaines intellectuels, sans réussir jamais, tout limités qu’ils sont, à les posséder dans leur entier. Si cette loi fatale n’existait pas, on comprendrait qu’à un jour donné, lointain peut-être, en tous cas, probable, l’homme, se trouvant en possession de toute l’expérience des âges successifs, sachant ce qu’il peut savoir, s’étant emparé de ce qu’il peut prendre, aurait enfin appris à appliquer ses richesses, vivrait au milieu de la nature, sans combat avec ses semblables non plus qu’avec la misère, et, tranquille à la fin, se reposerait, sinon à l’apogée des perfections, au moins dans un état suffisant d’abondance et de joie.

Une telle félicité, toute restreinte qu’elle serait, ne nous est même pas promise, puisqu’à mesure que l’homme apprend, il désapprend ; puisqu’il ne peut gagner sous le rapport intellectuel et moral sans perdre sous le rapport physique, et qu’il ne tient assez fortement aucune de ses conquêtes pour être assuré de les garder toujours.

Nous croyons, nous, que notre civilisation ne périra jamais, parce que nous avons l’imprimerie, la vapeur, la poudre à canon. L’imprimerie, qui n’est pas moins connue au Tonquin,