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civilisation de ces dernières leur appartient en propre, ou si elle ne provient que d’une infiltration de sang étranger. Dans ce dernier cas, l’imperfection du langage primitif et l’abâtardissement du langage importé s’accordent parfaitement avec l’existence d’un certain degré de culture sociale (1)[1].

J’ai dit ailleurs que, chaque civilisation ayant une portée particulière, il ne fallait pas s’étonner si le sens poétique et philosophique était plus développé chez les Hindous sanscrits et chez les Grecs que chez nous, tandis que l’esprit pratique, critique, érudit, distingue davantage nos sociétés. Pris en masse, nous sommes doués d’une vertu active plus énergique que les illustres dominateurs de l’Asie méridionale et de l’Hellade. En revanche, il nous faut leur céder le pas sur le terrain du beau, et il est, dès lors, naturel que nos idiomes tiennent l’humble rang de nos esprits. Un essor plus puissant vers les sphères idéales se reflète naturellement dans la parole dont les écrivains de l’Inde et de l’Ionie ont fait usage, de sorte que le langage, tout en étant, je le crois, je l’admets, un très bon critérium de l’élévation générale des races, l’est pourtant, d’une manière plus spéciale, de leur élévation esthétique, et il prend surtout ce caractère lorsqu’il s’applique à la comparaison des civilisations respectives.

Pour ne pas laisser ce point douteux, je me permettrai de discuter une opinion émise par M. le baron Guillaume de Humboldt, au sujet de la supériorité du mexicain sur le péruvien (2)[2], supériorité évidente, dit-il, bien que la civilisation des Incas ait été fort au-dessus de celle des habitants de l’Anahuac.

  1. (1) C'est cette différence de niveau qui, se marquant entre l'intelligence du conquérant et celle des peuples soumis, a donné cours, au début des nouveaux empires, à l'usage des langues sacrées. On en a vu dans toutes les parties du monde. Les Égyptiens avaient la leur, les Incas du Pérou de même. Cette langue sacrée, objet d'un superstitieux respect, propriété exclusive des hautes classes et souvent du groupe sacerdotal, à l'exclusion de tous les autres, est toujours la preuve la plus forte que l'on puisse donner de l'existence d'une race étrangère dominant sur le sol où on la trouve.
  2. M. de Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, Einl., XXXIV.