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était la plus belle et la plus féconde, puisqu’elle se composait de l’énergie et de la faculté initiatrice d’un sang plus rapproché de la souche blanche ; pourtant elle était la moins brillante. Les Sémites offraient des prémices et des primeurs, des espérances et des forces. Les Chamites noirs étaient déjà en possession d’une culture qui avait donné ses fruits.

On sait ce que c’était : de vastes et somptueuses cités gouvernaient les plaines assyriennes. Des villes florissantes s’élevaient sur les côtes de la Méditerranée. Sidon étendait au loin son commerce, et n’étonnait pas moins le monde par ses magnificences que Ninive et Babylone. Sichem, Damas, Ascalon (1)[1], d’autres villes encore, renfermaient des populations



(1) Je me sers ici de ces noms de cités célèbres sans prétendre affirmer qu’elles aient les premières servi de métropoles aux États chamites ou même sémo-chamites. Longtemps avant ces grandes villes, la Bible et les inscriptions cunéiformes nous révèlent l’existence d’autres capitales, telles que Niffer, Warka, Sanchara (probablement la Lanchara de Bérose). La fameuse ville où résidait le roi chamite Chedarlaomer, roi d’Élam (Gen., XIV), bien que moins ancienne, florissait cependant avant Ninive. (Voit le lieut.-colonel Rawlinson, Report of the Royal Asiatic Society, 1852, p. XV-XVI.) — De même la capitale de Sennacherib était à Kar-Dunyas, et non pas à Babylone (ouvr. cité, p. XXXII), ce qui est assez remarquable à cette époque, relativement basse, puisque Sennacherib régnait en 716 av. J.-C. seulement. Cependant Babylone était bâtie depuis fort longtemps ; le lieutenant-colonel Rawlinson, s’appuyant sur le 13e verset du 23e chap. d’Isaïe (j’avoue ne pas comprendre très bien les motifs du célèbre antiquaire), pense que l’on peut considérer le treizième siècle avant notre ère comme l’époque de fondation de cette cité. (Ouvr. cité, p. XVII.)

La raison qui me porte à m’en tenir aux notions les plus répandues c’est l’état encore imparfait des connaissances modernes sur l’histoire des États assyriens. Nul doute que les découvertes de Botta, de Layard, de Rawlinson, et celles que poursuit, en ce moment, avec tant de zèle, d’énergie et d’habileté, le consul de France à Mossoul, M. Place, n’amènent, dans ce que nous savons des peuples primitifs de l’Asie, une révolution plus considérable encore et suivie de résultats plus heureux et plus brillants que celle qui fut opérée, il y a quelques années, dans les annales de l’Italie antique par les savants travaux des Niebuhr, des O. Müller, des Aufrecht. Mais nous n’en sommes encore qu’aux débuts, et il y aurait témérité à vouloir trop user de résultats, jusqu’ici fragmentaires et souvent si inattendus, si émouvants pour l’imagination la plus froide, qu’avant de les utiliser, il faut qu’une critique


  1. (1) Je me sers ici de ces noms de cités célèbres sans prétendre affirmer qu’elles aient les premières servi de métropoles aux États chamites ou même sémo-chamites. Longtemps avant ces grandes villes, la Bible et les inscriptions cunéiformes nous révèlent l’existence d’autres capitales, telles que Niffer, Warka, Sanchara (probablement la Lanchara de Bérose). La fameuse ville où résidait le roi chamite Chedarlaomer, roi d’Élam (Gen., XIV), bien que moins ancienne, florissait cependant avant Ninive. (Voit le lieut.-colonel Rawlinson, Report of the Royal Asiatic Society, 1852, p. XV-XVI.) — De même la capitale de Sennacherib était à Kar-Dunyas, et non pas à Babylone (ouvr. cité, p. XXXII), ce qui est assez remarquable à cette époque, relativement basse, puisque Sennacherib régnait en 716 av. J.-C. seulement. Cependant Babylone était bâtie depuis fort longtemps ; le lieutenant-colonel Rawlinson, s’appuyant sur le 13e verset du 23e chap. d’Isaïe (j’avoue ne pas comprendre très bien les motifs du célèbre antiquaire), pense que l’on peut considérer le treizième siècle avant notre ère comme l’époque de fondation de cette cité. (Ouvr. cité, p. XVII.) La raison qui me porte à m’en tenir aux notions les plus répandues c’est l’état encore imparfait des connaissances modernes sur l’histoire des États assyriens. Nul doute que les découvertes de Botta, de Layard, de Rawlinson, et celles que poursuit, en ce moment, avec tant de zèle, d’énergie et d’habileté, le consul de France à Mossoul, M. Place, n’amènent, dans ce que nous savons des peuples primitifs de l’Asie, une révolution plus considérable encore et suivie de résultats plus heureux et plus brillants que celle qui fut opérée, il y a quelques années, dans les annales de l’Italie antique par les savants travaux des Niebuhr, des O. Müller, des Aufrecht. Mais nous n’en sommes encore qu’aux débuts, et il y aurait témérité à vouloir trop user de résultats, jusqu’ici fragmentaires et souvent si inattendus, si émouvants pour l’imagination la plus froide, qu’avant de les utiliser, il faut qu’une critique sévère en ait plus que constaté la valeur. Lorsque le savant colonel Rawlinson donne, d’après deux cylindres en terre cuite, l’histoire complète des huit premières années du règne de Sennacherib avec le récit de la campagne de ce monarque contre les Juifs (Outlines of Assyrian history, collection from the cuneiform inscriptions, p. XV), c’est bien le moins que nous ne cédions pas trop facilement au charme inévitable qu’exerce sur l’esprit cette autobiographie où le roi raconte sa défaite et la met en regard du récit de la Bible. Une grande réserve ne me semble pas moins obligatoire, lorsque l’infatigable érudit nous offre une découverte plus surprenante encore. Dans des tablettes en terre cuite trouvées sur le bas Euphrate et envoyées à Londres par M. Loftus, membre de la Commission mixte pour la délimitation des frontières turco-persanes, M. Rawlinson pense avoir découvert des reconnaissances du trésor d’un prince assyrien pour un certain poids d’or ou d’argent, déposé dans les caisses publiques, reconnaissances qui auraient eu, dans les mains des particuliers, un cours légal. M. Mohl, en rendant compte de cette opinion, ajoute prudemment : « Ce serait un premier essai de valeurs de convention dans un temps où certainement personne ne l’aurait soupçonné, et cette supposition a quelque chose de si surprenant, qu’on ose à peine espérer qu’elle se vérifiera. » (Rapport à la Société asiatique, 1851, p. 46.) J’espère que personne ne me blâmera d’imiter la discrétion dont un juge si compétent me donne l’exemple. Plus on fera de progrès dans la lecture des inscriptions cunéiformes, plus on découvrira de ruines dans ces vastes provinces, dont le sol inexploré parait en être couvert, plus on accomplira de miracles, j’en suis convaincu, en faisant revivre des faits déjà morts et oubliés à l’époque des Grecs. Mais c’est précisément parce qu’il y a lieu de beaucoup attendre de l’avenir, qu’il ne faut pas le compromettre en embarrassant le présent d’assertions trop hâtives, inutilement hypothétiques et souvent erronées. Je continuerai donc à me tenir de préférence sur des terrains connus et solides, et c’est pourquoi j’invoque les noms de Ninive et de Babylone comme étant ceux qui, jusqu’ici, personnifient le mieux les splendeurs assyriennes.