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se connaît véritablement elle-même. C’est ce qui s’est passé, sous nos yeux, à plusieurs reprises, dans les deux Amériques, depuis la découverte du XVe siècle.

La conséquence de cette observation est que les temps véritablement antéhistoriques ont peu de valeur, soit parce qu’ils appartiennent aux races incivilisables, soit parce qu’ils constituent, pour les sociétés blanches, des époques de gestation où rien n’est complet ni coordonné, et ne peut confier un ensemble de faits logiques à la mémoire des siècles.

Dès les premières dynasties égyptiennes, la civilisation marcha si rapidement que l’écriture hiéroglyphique fut trouvée ; elle ne fut pas perfectionnée du même coup. Rien n’autorise à supposer que le caractère figuratif ait été immédiatement transformé, de manière à se simplifier, et, en même temps, à s’idéaliser sous une forme purement graphique[1].

La bonne critique attache de nos jours, et très justement, une haute idée de supériorité civilisatrice à la possession d’un moyen de fixer la pensée, et le mérite est d’autant plus grand que le moyen est moins compliqué. Rien ne dénote chez un peuple plus de profondeur de réflexion, plus de justesse de déduction, plus de puissance d’application aux nécessités de la vie, qu’un alphabet réduit à des éléments aussi simples que possible. À ce titre, les Égyptiens sont loin de pouvoir se réclamer de leur invention pour occuper une des places d’honneur. Leur découverte, toujours ténébreuse, toujours laborieuse à mettre en œuvre, les rejette sur les bas degrés de l’échelle des nations cultivées. Derrière eux, il n’est que les Péruviens nouant leurs cordelettes teintes, leurs quipos, et les Mexicains peignant leurs dessins énigmatiques. Au-dessus d’eux se placent les Chinois eux-mêmes ; car, du moins, ces derniers ont franchement passé du système figuratif à une expression conventionnelle des sons, opération, sans doute, imparfaite encore, mais qui, pourtant, a permis, à ceux qui

  1. Brugsch, Zeitschrift d. deutsch Morgenl. Gesellsch., t. III, p. 266 et passim.