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la série des existences supérieures, après avoir été dieux eux-mêmes, tout ce qu’ils espéraient, c’était d’aller se confondre dans son sein et se reposer, un temps, des fatigues de la vie, lourde à porter pour eux, même dans les délices de l’existence céleste.

Si le dieu supérieur des brahmanes planait trop au-dessus de la compréhension étroite des classes inférieures et peut-être des vayçias eux-mêmes, il était cependant accessible au sens élevé des kschattryas, qui, restés participants de la science védique, avaient, sans doute, une piété moins active que leurs contemplatifs adversaires, mais possédaient assez de science avec assez de netteté d’esprit, pour ne pas heurter de front une notion dont ils appréciaient très bien la valeur. Ils prirent un biais, et, les théologiens militaires aidant, ou quelque brahmane déserteur, ils transformèrent la nature subalterne d’un dieu kschattrya jusque-là peu remarqué, Vischnou (1)[1], et, lui dressant un trône métaphysique, l’élevèrent aussi haut que le maître céleste de leurs ennemis. Placé alors en face et sur le même plan que Brahma, l’autel guerrier valut celui du rival et les guerriers n’eurent pas à s’humilier sous une supériorité de doctrine.

Un tel coup, bien médité sans doute, et longtemps réfléchi, car il accuse par les développements qui lui furent nécessaires la longueur et l’acharnement d’une lutte obstinée, menaçait le pouvoir des brahmanes, et, avec lui, la société hindoue, d’une ruine complète. D’un côté, aurait été Vischnou avec ses kschattryas libres et armés ; de l’autre, Brahma, égalé par un dieu nouveau, avec ses prêtres pacifiques, et les classes impuissantes des vayçias et des çoudras. Les aborigènes auraient été mis en demeure de choisir entre deux systèmes, dont le premier leur eût offert, avec une religion tout aussi complète que l’ancienne, une délivrance absolue de la tyrannie des castes et la perspective, pour le dernier des hommes, de parvenir à tout, pendant le cours même de la vie actuelle, sans avoir à attendre une seconde naissance. L’autre régime n’avait

  1. (1) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 781.