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le pivot de la société hindoue. De là sortirent, sans s’en détacher jamais, les sciences politiques, les sciences sociales. Le brahmanisme ne fit pas deux parts spéciales de la conscience du citoyen et de celle du croyant. La théorie chinoise et européenne de la séparation de l’Église et de l’État ne fut jamais admissible pour lui. Sans religion, point de société brahmanique. Pas un seul acte de la vie privée ne s’en isolait. Elle était tout, pénétrait partout, vivifiait tout et d’une manière bien puissante, puisqu’elle relevait le tchandala lui-même, tout en l’abaissant, et donnait même à ce misérable un motif d’orgueil et des inférieurs à mépriser.

Sous l’égide de la science et de la foi, la poésie des soutas avait aussi trouvé d’illustres imitateurs dans les ermitages sacrés. Les anachorètes, descendus des hauteurs inouïes de leurs méditations, protégeaient les poètes profanes, les excitaient et savaient même les devancer. Valmiki, l’auteur du Ramayana, fut un ascète vénéré. Les deux rapsodes auxquels il confia le soin d’apprendre et de répéter ses vers, étaient des kschattryas, Cuso et Lavo, fils de Rama lui-même. Les cours des rois du pays accueillaient avec feu les jouissances intellectuelles, une partie des brahmanes se consacra bientôt au seul emploi de leur en procurer (1)[1]. Les poèmes, les élégies, les récits de toute nature, vinrent se placer auprès des élucubrations volumineuses des sciences austères (2)[2]. Sur une scène illustrée par les génies les plus magnifiques, le drame et la comédie représentèrent, avec éclat, les mœurs des temps présents et les actions les plus grandioses des époques passées. Certes, le grand nom de Kalidasa mérite de briller à l’égal des plus illustres mémoires



(1) Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 141.

(2) La critique littéraire a existé de très bonne heure dans l’Inde. Vers le XIe siècle avant notre ère, les hymnes védiques de l’Atharvan furent réunies et mises en ordre. Au VIe siècle parurent les grammairiens, qui étudièrent et classèrent le langage de toutes les nations habitant le territoire sacré ou ses frontières. Ce travail philologique et les résultats qu’il consacre sont du plus précieux secours pour l’ethnologie. À cette même époque, le langage des Védas fut si parfaitement fixé, que l’on ne trouve, ni dans les manuscrits, ni dans les citations, la moindre variante. (Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 739 et 750 et passim.)

  1. (1) Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 141.
  2. (2) La critique littéraire a existé de très bonne heure dans l’Inde. Vers le XIe siècle avant notre ère, les hymnes védiques de l’Atharvan furent réunies et mises en ordre. Au VIe siècle parurent les grammairiens, qui étudièrent et classèrent le langage de toutes les nations habitant le territoire sacré ou ses frontières. Ce travail philologique et les résultats qu’il consacre sont du plus précieux secours pour l’ethnologie. À cette même époque, le langage des Védas fut si parfaitement fixé, que l’on ne trouve, ni dans les manuscrits, ni dans les citations, la moindre variante. (Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 739 et 750 et passim.)