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Cette situation se prolongea d’une manière qui prouve, à elle seule, la vigueur extraordinaire de l’organisation brahmanique. Deux cents ans après la mort de Sakya, et dans un royaume gouverné par le roi bouddhiste Pyadassi, les édits ne manquaient jamais de donner le pas aux brahmanes sur leurs rivaux (1)[1], et la guerre véritable, la guerre d’intolérance, la persécution ne commença qu’avec le Ve siècle de notre ère (2)[2]. Ainsi le bouddhisme avait pu vivre pendant près de huit cents ans, à tout le moins, côte à côte avec l’antique régulateur du sol, sans parvenir à se rendre assez fort pour l’inquiéter et le faire courir aux armes.

Ce n’était pas faute de bonne volonté. Les conversions dans les basses classes avaient toujours été en augmentant. À l’appel d’une doctrine qui, prétendant ne tenir compte que de la valeur morale des hommes, leur disait : « Par ce seul fait que vous m’accueillez, je vous relève de votre abaissement en ce monde », tout ce qui ne voulait ou ne pouvait obtenir naturellement un rang social était fortement tenté d’accourir. Puis, dans les brahmanes il y avait des hommes sans science, sans considération ; dans les kschattryas, des guerriers qui ne savaient pas se battre ; dans les vayçias, des dissipateurs regrettant leur fortune, et trop paresseux ou trop nuls pour s’en refaire une autre par le travail (3)[3]. Toutes ces accessions donnaient




résister à tout. — Voir Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 163, où il est fait mention d’une légende bouddhique qui met bien en relief la puissance de la bourgeoise vayçia à l’époque où se forma le bouddhisme. Je remarquerai ici que, pour ces temps de l’histoire hindoue, les légendes des bouddhas ont le même genre d’intérêt historique que, chez nous, les vies des saints, lorsqu’il s’agit des âges de la domination mérovingienne. Ces productions, d’une piété également vive, bien que différemment appliquée, se ressemblent de très près. Elles racontent les mœurs, les usages du temps où le vénérable personnage dont elles s’occupent a vécu, et ont, les unes et les autres, celles des Arians-Franks, comme celles des Arians-Hindous, la même prédilection pour la partie philosophique de l’histoire, unie au même dédain de la chronologie.

(1) Burnouf, Introduct. à l’hist., etc., t. I, p. 395, note.

(2) Ibid., p. 586.

(3) Quand les brahmanes reprochaient à Sakya de s’entourer de

  1. (1) Burnouf, Introduct. à l’hist., etc., t. I, p. 395, note.
  2. (2) Ibid., p. 586.
  3. 3) Quand les brahmanes reprochaient à Sakya de s’entourer de gens appartenant aux castes impures ou de personnes de mauvaise vie, Sakya répondait : « Ma loi est une loi de grâce pour tous. » (Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 198.) — Cette loi de grâce devint très promptement une sorte de religiosité facile qui recrutait des partisans dans les classes supérieures, parmi les hommes dégoûtés de toutes les restrictions que le régime brahmanique inflige à ses fidèles, par suite de cette idée qu’on ne peut se faire pardonner les fautes de l’existence actuelle et se rendre dignes de passer dans un rang supérieur, qu’au prix des plus redoutables austérités. Ainsi, un jeune ascète, après de longues abstinences au fond d’une forêt, se donne en pâture a une tigresse, qui vient de mettre bas, en s’écriant : « Comme il est vrai que je n’abandonne la vie ni pour la royauté, ni pour les jouissances du plaisir, ni pour le rang de sakya, ni pour celui de monarque souverain, mais bien pour arriver à l’état suprême de bouddha parfaitement accompli ! » (Burnouf, ibid., p. 159 et passim.) — Les bouddhistes prenaient les choses d’une façon plus commode. Ils condamnaient ces rigueurs personnelles comme inutiles, et leur substituaient le simple repentir et l’aveu de la faute, ce qui, du reste, les fit arriver très promptement à instituer la confession. (Ibid., p. 299.)