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soient trahies ; et cependant, ployant sous cet odieux bagage, les États ne s’en maintiennent pas moins, et souvent, au contraire, semblent redevables de leur splendeur à d’abominables institutions. Les Spartiates n’ont vécu et gagné l’admiration que par les effets d’une législation de bandits. Les Phéniciens ont-ils dû leur perte à la corruption qui les rongeait et qu’ils allaient semant partout ? Non ; tout au contraire, c’est cette corruption qui a été l’instrument principal de leur puissance et de leur gloire ; depuis le jour où, sur les rivages des îles grecques[1], ils allaient, trafiquants fripons, hôtes scélérats, séduisant les femmes pour en faire marchandise, et volant çà et là les denrées qu’ils couraient vendre, leur réputation fut, à coup sûr, bien et justement flétrissante ; ils n’en ont pas moins grandi et tenu dans les annales du monde un rang dont leur rapacité et leur mauvaise foi n’ont nullement contribué à les faire descendre.

Loin de découvrir dans les sociétés jeunes une supériorité de morale, je ne doute pas que les nations en vieillissant, et par conséquent en approchant de leur chute, ne présentent aux yeux du censeur un état beaucoup plus satisfaisant. Les usages s’adoucissent, les hommes s’accordent davantage, chacun trouve à vivre plus aisément, les droits réciproques ont eu le temps de se mieux définir et comprendre ; si bien que les théories sur le juste et l’injuste ont acquis peu à peu un plus haut degré de délicatesse. Il serait difficile de démontrer qu’au temps où les Grecs ont jeté bas l’empire de Darius, comme à l’époque où les Goths sont entrés dans Rome, il n’y avait pas à Athènes, à Babylone et dans la grande ville impériale beaucoup plus d’honnêtes gens qu’aux jours glorieux d’Harmodius, de Cyrus le Grand et de Publicola.

Sans remonter à ces époques éloignées, nous pouvons en juger par nous-mêmes. Un des points du globe où le siècle est le plus avancé, et présente un plus parfait contraste avec l’âge naïf, c’est bien certainement Paris ; et cependant grand nombre de personnes religieuses et savantes avouent que dans

  1. Odyssée, XV.