Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/53

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aucun lieu, dans aucun temps, on ne trouverait autant de vertus efficaces, de solide piété, de douce régularité, de finesse de conscience, qu’il s’en rencontre aujourd’hui dans cette grande ville. L’idéal que l’on s’y fait du bien est tout aussi élevé qu’il pouvait l’être dans l’âme des plus illustres modèles du dix-septième siècle, et encore a-t-il dépouillé cette amertume, cette sorte de roideur et de sauvagerie, oserais-je dire cette pédanterie, dont alors il n’était pas toujours exempt ; de sorte que, pour contre-balancer les épouvantables écarts de l’esprit moderne, on trouve, sur les lieux mêmes où cet esprit a établi le principal siège de sa puissance, des contrastes frappants, dont les siècles passés n’ont pas eu, à un aussi haut degré que nous, le consolant spectacle.

Je ne vois pas même que les grands hommes manquent aux périodes de corruption et de décadence, je dis les grands hommes les mieux caractérisés par l’énergie du caractère et les fortes vertus. Si je cherche dans le catalogue des empereurs romains, la plupart d’ailleurs supérieurs à leurs sujets par le mérite comme par le rang, je relève des noms comme ceux de Trajan, d’Antonin le Pieux, de Septime Sévère, de Jovien ; et au-dessous du trône, dans la foule même, j’admire tous les grands docteurs, les grands martyrs, les apôtres de la primitive Église, sans compter les vertueux païens. J’ajoute que les esprits actifs, fermes, valeureux, remplissaient les camps et les municipes de façon à faire douter qu’au temps de Cincinnatus, et proportion gardée, Rome ait possédé autant d’hommes éminents dans tous les genres d’activité. L’examen des faits est complètement concluant.

Ainsi, gens de vertu, gens d’énergie, gens de talent, loin de faire défaut aux périodes de décadence et de vieillesse des sociétés, s’y rencontrent au contraire avec plus d’abondance peut-être qu’au sein des empires qui viennent de naître, et, en outre, le niveau commun de la moralité y est supérieur. Il n’est donc pas généralement vrai de prétendre que, dans les États qui tombent, la corruption des mœurs soit plus intense que dans ceux qui naissent ; que cette même corruption détruise les peuples est également sujet à contestation, puisque