Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/58

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charge si odieuse à son honneur de prince chrétien, il dut, contraint par l’opinion publique, évidemment bien puissante, quoiqu’à la veille de s’éteindre, il dut compter encore avec l’antique religion nationale. Ainsi, ce n’était pas la foi des petits bourgeois, des populations villageoises, des esclaves, qui était peu de chose, c’était l’opinion des gens éclairés. Cette dernière avait beau s’insurger, au nom de la raison et du bon sens, contre les absurdités du paganisme ; les masses populaires ne voulaient pas, ne pouvaient pas renoncer à une croyance avant qu’on leur en eût fourni une autre, donnant là une grande démonstration de cette vérité, que c’est le positif et non le négatif qui est d’emploi dans les affaires de ce monde ; et la pression de ce sentiment général fut si forte qu’au troisième siècle il y eut, dans les hautes classes, une réaction religieuse, réaction solide, sérieuse, et qui dura jusqu’au passage définitif du monde aux bras de l’Église ; de sorte que le règne du philosophisme aurait atteint son apogée sous les Antonins, et commencé son déclin peu après leur mort. Mais ce n’est pas le lieu de débattre cette question, d’ailleurs intéressante pour l’histoire des idées ; qu’il me suffise d’établir que la rénovation gagna de plus en plus, et d’en faire ressortir la cause la plus apparente.

Plus le monde romain alla vieillissant, plus le rôle des armées fut considérable. Depuis l’empereur, qui sortait inévitablement des rangs de la milice, jusqu’au dernier officier de son prétoire, jusqu’au plus mince gouverneur de district, tous les fonctionnaires avaient commencé par tourner sous le cep du centurion. Tous sortaient donc de ces masses populaires dont j’ai déjà signalé l’indomptable piété, et, en arrivant aux splendeurs d’un rang élevé, trouvaient pour leur déplaire, les choquer, les blesser, l’antique éclat des classes municipales, de ces sénateurs des villes, qui les regardaient volontiers comme des parvenus, et les auraient raillés de grand cœur, n’eût été la crainte. Il y avait ainsi hostilité entre les maîtres réels de l’État et les familles jadis supérieures. Les chefs de l’armée étaient croyants et fanatiques, témoin Maximin, Galère, cent autres ; les sénateurs et les décurions faisaient encore leurs délices de la littérature