Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/59

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sceptique ; mais comme on vivait, en définitive, à la cour, donc parmi les militaires, on était contraint d’adopter un langage et des opinions officielles qui ne fussent pas dangereuses. Tout devint, peu à peu, dévot dans l’empire, et ce fut par dévotion que les philosophes eux-mêmes, conduits par Évhémère, se mirent à inventer des systèmes pour concilier les théories rationalistes avec le culte de l’État, méthode dont l’empereur Julien fut le plus puissant coryphée. Il n’y a pas lieu de louer beaucoup cette renaissance de la piété païenne, puisqu’elle causa la plupart des persécutions qui ont atteint nos martyrs. Les populations, offensées dans leur culte par les sectes athées, avaient patienté aussi longtemps que les hautes classes les avaient dominées ; mais, aussitôt que la démocratie impériale eut réduit ces mêmes classes au rôle le plus humble, les gens d’en bas se voulurent venger d’elles, et, se trompant de victimes, égorgèrent les chrétiens, qu’ils appelaient impies et prenaient pour des philosophes. Quelle différence entre les époques ! Le païen vraiment sceptique, c’est ce roi Agrippa qui, par curiosité, veut entendre saint Paul[1]. Il l’écoute, discute avec lui, le tient pour un fou, mais ne songe pas à le punir de penser autrement qu’il ne fait lui-même. C’est l’historien Tacite, plein de mépris pour les nouveaux religionnaires, mais blâmant Néron de ses cruautés envers eux ; Agrippa et Tacite étaient des incrédules. Dioclétien était un politique conduit par les clameurs des gouvernés ; Décius, Aurélien étaient des fanatiques comme leurs peuples.

Et combien de peine n’éprouva-t-on pas encore, lorsque le gouvernement romain eut définitivement embrassé la cause du christianisme, à conduire les populations dans le giron de la foi ! En Grèce, de terribles résistances éclatèrent, aussi bien dans la chaire des écoles que dans les bourgs et les villages et partout les évêques éprouvèrent tant de difficultés à triompher des petites divinités topiques, que, sur bien des points, la victoire fut moins l’œuvre de la conversion et de la persuasion que de l’adresse, de la patience et du temps. Le génie des

  1. Act. Apost. XXVI, 24, 29, 31.