Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/62

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loin de mourir chez elle dans le cours de cette oppression, ne fit que s’y retremper.

Un gouvernement est mauvais lorsque la conquête pure et simple en est la base. La France, au quatorzième siècle, a, dans sa presque totalité, subi le joug de l’Angleterre. Elle en est sortie plus forte et plus brillante. La Chine a été couverte et prise par les hordes mongoles ; elle a fini par les rejeter hors de ses limites, après leur avoir fait subir un singulier travail d’énervement. Depuis cette époque, elle est retombée sous un autre joug ; mais, bien que les Mantchoux comptent déjà un règne plus que séculaire, ils sont à la veille d’éprouver le même sort que les Mongols, après avoir passé par une semblable préparation affaiblissante.

Un gouvernement est surtout mauvais lorsque le principe dont il est sorti, se laissant vicier, cesse d’être sain et vigoureux comme il était d’abord. Ce fut le sort de la monarchie espagnole. Fondée sur l’esprit militaire et la liberté communale, elle commença à s’abaisser, vers la fin du règne de Philippe II, par l’oubli de ses origines. Il est impossible d’imaginer un pays où les bonnes maximes fussent plus tombées en oubli, où le pouvoir parût plus faible et plus déconsidéré, où l’organisation religieuse elle-même donnât plus de prise à la critique. L’agriculture et l’industrie, frappées comme tout le reste, étaient quasi ensevelies dans le marasme national. L’Espagne est-elle morte ? Non. Ce pays, dont plusieurs désespéraient, a donné à l’Europe l’exemple glorieux d’une résistance obstinée à la fortune de nos armes, et c’est peut-être celui de tous les États modernes dont la nationalité se montre en ce moment la plus vivace.

Un gouvernement est encore bien mauvais lorsque, par la nature de ses institutions, il autorise un antagonisme, soit entre le pouvoir suprême et la masse de la nation, soit entre les différentes classes. Ainsi l’on a vu, au moyen âge, des rois d’Angleterre et de France aux prises avec leurs grands vassaux, les paysans en lutte avec leurs seigneurs ; ainsi, en Allemagne, les premiers effets de la liberté de penser ont amené les guerres civiles des hussites, des anabaptistes et de tant