Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/74

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de temps variant à l’infini. Toutefois elle s’achève partout, et partout elle est aussi parfaite que de besoin, longtemps avant la fin de la civilisation qu’elle est censée animer, de sorte qu’un peuple marche, vit, fonctionne, souvent même grandit après que le mobile générateur de sa vie et de sa gloire a cessé d’être. Croit-on trouver là une contradiction avec ce qui précède ? Nullement ; car, tandis que l’influence du sang civilisateur va s’épuisant par la division, la force de propulsion jadis imprimée aux masses soumises ou annexées subsiste encore ; les institutions que le défunt maître avait inventées, les lois qu’il avait formulées, les mœurs dont il avait fourni le type se sont maintenues après lui. Sans doute, mœurs, lois, institutions, ne survivent que fort oublieuses de leur antique esprit, défigurées tous les jours davantage, caduques et perdant leur sève ; mais, tant qu’il en reste une ombre, l’édifice se soutient, le corps semble avoir une âme, le cadavre marche. Quand le dernier effort de cette impulsion antique est achevé, tout est dit ; rien ne reste, la civilisation est morte.

Je me crois maintenant pourvu de tout le nécessaire pour résoudre le problème de la vie et de la mort des nations, et je dis qu’un peuple ne mourrait jamais en demeurant éternellement composé des mêmes éléments nationaux. Si l’empire de Darius avait encore pu mettre en ligne, à la bataille d’Arbelles, des Perses, des Arians véritables ; si les Romains du Bas Empire avaient eu un sénat et une milice formés d’éléments ethniques semblables à ceux qui existaient au temps des Fabius, leurs dominations n’auraient pas pris fin, et, tant qu’ils auraient conservé la même intégrité de sang, Perses et Romains auraient vécu et régné. On objectera qu’ils auraient néanmoins, à la longue, vu venir à eux des vainqueurs plus irrésistibles qu’eux-mêmes et qu’ils auraient succombé sous des assauts bien combinés, sous une longue pression, ou, plus simplement, sous le hasard d’une bataille perdue. Les États, en effet, auraient pu prendre fin de cette manière, non pas la civilisation, ni le corps social. L’invasion et la défaite n’auraient constitué que la triste mais temporaire traversée d’assez mauvais jours. Les exemples à fournir sont en grand nombre.