Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/91

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hommes pourraient, fondus dans une masse blanche, et avec de bons modèles constamment sous les yeux, devenir ailleurs des citoyens utiles. Par malheur la suprématie du nombre et de la force appartient, pour le moment, aux nègres. Ceux-là, bien que leurs grands-pères, tout au plus, aient connu la terre d’Afrique, en subissent encore l’influence entière ; leur suprême joie, c’est la paresse ; leur suprême raison, c’est le meurtre. Entre les deux partis qui divisent l’île, la haine la plus intense n’a jamais cessé de régner. L’histoire d’Haïti, de la démocratique Haïti, n’est qu’une longue relation de massacres : massacres des mulâtres par les nègres, lorsque ceux-ci sont les plus forts, des nègres par les mulâtres, quand le pouvoir est aux mains de ces derniers. Les institutions, pour philanthropiques qu’elles se donnent, n’y peuvent rien ; elles dorment impuissantes sur le papier où l’on les a écrites ; ce qui règne sans frein, c’est le véritable esprit des populations. Conformément à une loi naturelle indiquée plus haut, la variété noire, appartenant à ces tribus humaines qui ne sont pas aptes à se civiliser, nourrit l’horreur la plus profonde pour toutes les autres races ; aussi voit-on les nègres d’Haïti repousser énergiquement les blancs et leur défendre l’entrée de leur territoire ; ils voudraient de même exclure les mulâtres, et visent à leur extermination. La haine de l’étranger est le principal mobile de la politique locale. Puis, en conséquence de la paresse organique de l’espèce, l’agriculture est annulée, l’industrie n’existe pas même de nom, le commerce se réduit de jour en jour, la misère, dans ses déplorables progrès, empêche la population de se reproduire, tandis que les guerres continuelles, les révoltes, les exécutions militaires, réussissent constamment à la diminuer. Le résultat inévitable et peu éloigné d’une telle situation sera de rendre désert un pays dont la fertilité et les ressources naturelles ont jadis enrichi des générations de planteurs, et d’abandonner aux chèvres sauvages les plaines fécondes, les magnifiques vallées, les mornes grandioses de la reine des Antilles[1].

  1. La colonie de Saint-Domingue, avant son émancipation, était un des lieux de la terre où la richesse et l’élégance des mœurs avaient poussé le plus loin leurs raffinements. Ce que la Havane est devenue en fait d'activité commerciale, Saint-Domingue le montrait avec surcroît. Les esclaves affranchis y ont mis bon ordre.