Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/99

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ont tiré bon parti, une véritable vocation intellectuelle et même une civilisation antérieure au jour où l’exploitation de ces avantages put commencer. Mais quittons les régions spécialement favorisées, et regardons ailleurs.

Lorsque les Phéniciens, dans leur migration, vinrent de Tylos, ou de quelque autre endroit du sud-est que l’on voudra, que trouvèrent-ils dans le canton de Syrie où ils se fixèrent ? Une côte aride, rocailleuse, serrée étroitement entre la mer et des chaînes de rochers qui semblaient devoir rester à tout jamais stériles. Un territoire si misérable contraignait la nation à ne jamais s’étendre, car, de tous côtés, elle se trouvait enserrée dans une ceinture de montagnes. Et cependant ce lieu, qui devait être une prison, devint, grâce au génie industrieux du peuple qui l’habita, un nid de temples et de palais. Les Phéniciens, condamnés pour toujours à n’être que de grossiers ichtyophages, ou tout au plus de misérables pirates, furent pirates à la vérité, mais grandement, et, de plus, marchands hardis et habiles, spéculateurs audacieux et heureux. Bon ! dira quelque contradicteur, nécessité est mère d’invention ; si les fondateurs de Tyr et de Sidon avaient habité les plaines de Damas, contents des produits de l’agriculture, ils n’auraient peut-être jamais été un peuple illustre. La misère les a aiguillonnés, la misère a éveillé leur génie.

Et pourquoi donc n’éveille-t-elle pas celui de tant de tribus africaines, américaines, océaniennes, placées dans des circonstances analogues ? Pourquoi voyons-nous les Kabyles du Maroc, race ancienne et qui a eu, bien certainement, tout le temps nécessaire pour la réflexion, et, chose plus surprenante encore, toutes les incitations possibles à la simple imitation, n’avoir jamais conçu une idée plus féconde, pour adoucir son sort malheureux, que le pur et simple brigandage maritime ? Pourquoi, dans cet archipel des Indes, qui semble créé pour le commerce, dans ces îles océaniennes, qui peuvent si aisément communiquer l’une avec l’autre, les relations pacifiquement fructueuses sont-elles presque absolument dans les mains des races étrangères, chinoise, malaise et arabe ? et là où des peuples à demi indigènes, où des nations métisses ont pu s’en