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présentent pas moins de diversités. Ils possèdent des lettres qui n’ont rien d’hellénique, et jouissent ainsi d’une physionomie vraiment nationale, dont il est fort difficile à la critique la plus systématique de les dépouiller (1)[1]. En outre, tous, sauf les étrusques, sont celtiques, comme on le verra plus tard. Pour le moment, personne n’en doutera quant à l’euganéen et à l’umbrique.

Les monuments qui nous les ont conservés se montrent, pour la plupart, antérieurs à l’invasion de l’hellénisme dans la péninsule italique. Il faut donc conclure que ces alphabets européens, parents les uns des autres, parents du grec, ne sont pas formés d’après lui ; qu’ils remontent, ainsi que lui, à une origine plus ancienne ; que, comme le sang des races blanches, ils ont leur source dans les établissements primitifs de ces races au fond de la haute Asie ; que, comme les peuples qui les possèdent, ils sont originaux et vraiment indépendants de toute imitation grecque sur le territoire européen où ils ont été employés ; enfin, que les nations celtiques, n’ayant pas emprunté leur genre de culture sociale à la Grèce, non plus que leur religion, non plus que leur sang, ne lui devaient pas davantage leurs systèmes graphiques (2)[2].



(1) Niebuhr reconnaît que l’origine des alphabets étrusques et grecs est la même. Il la croit sémitique, à tort, suivant moi, si on veut admettre, ce qui me paraît discutable, que les écritures sémitiques soient elles-mêmes étrangères à l’invention ariane et nées sur le sol même de l’Asie antérieure après les grandes migrations. Mais le savant prussien déclare très positivement que, dans son opinion, les lettres étrusques ne se sont pas formées sur le type grec, et il en donne des raisons tout à fait concluantes. (Rœm. Geschichte, t. I, p. 89.) Un argument à l’appui de cette assertion, qui ne me paraît pas sans valeur, c’est que le mot celtique, le mot latin et le mot grec qui signifient écrire, ont, avec une même racine, des physionomies si différentes, qu’ils doivent s’être formés sur place et ne pas provenir d’un emprunt opéré dans les âges où l’un de ces peuples a pu exercer une action sur les autres. Ainsi, γράφειν, scribere, et le gallois, crifellu, ysgriffen, ysgrifan, ne se ressemblent que de loin, et on remarquera que le passage de γράφειν à scribere est assez bien marqué par les mots celtiques, tandis que scribere, au contraire, n’est pas un intermédiaire entre ces mots et l’expression grecque.

(2) César, après avoir dit que les Celtes se servaient de caractères

  1. (1) Niebuhr reconnaît que l’origine des alphabets étrusques et grecs est la même. Il la croit sémitique, à tort, suivant moi, si on veut admettre, ce qui me paraît discutable, que les écritures sémitiques soient elles-mêmes étrangères à l’invention ariane et nées sur le sol même de l’Asie antérieure après les grandes migrations. Mais le savant prussien déclare très positivement que, dans son opinion, les lettres étrusques ne se sont pas formées sur le type grec, et il en donne des raisons tout à fait concluantes. (Rœm. Geschichte, t. I, p. 89.) Un argument à l’appui de cette assertion, qui ne me paraît pas sans valeur, c’est que le mot celtique, le mot latin et le mot grec qui signifient écrire, ont, avec une même racine, des physionomies si différentes, qu’ils doivent s’être formés sur place et ne pas provenir d’un emprunt opéré dans les âges où l’un de ces peuples a pu exercer une action sur les autres. Ainsi, γράφειν, scribere, et le gallois, crifellu, ysgriffen, ysgrifan, ne se ressemblent que de loin, et on remarquera que le passage de γράφειν à scribere est assez bien marqué par les mots celtiques, tandis que scribere, au contraire, n’est pas un intermédiaire entre ces mots et l’expression grecque.
  2. (2) César, après avoir dit que les Celtes se servaient de caractères grecs, prouve, du reste, lui-même, l'inexactitude de son renseignement. Il raconte qu'ayant à envoyer une lettre à un de ses lieutenants, assiégé par les Belges, et ne voulant pas qu'elle pût être lue en route, il l'écrivit, non pas en langue grecque, mais en caractères grecs. Donc les caractères grecs étaient inconnus de ses adversaires. (Cæs., de Bello Gall., V.) — Tout ce qu'il y a de peu satisfaisant dans l'assertion que les lettres en usage chez les Celtes étaient d'origine grecque a, du reste, frappé les commentateurs de César. Pour concilier les nombreuses difficultés qui leur sautaient aux yeux, ils ont eu recours à des subtilités infinies, mais dont ils se montrent, eux-mêmes tout les premiers, fort médiocrement satisfaits. — Voir l'édition d'Oudendorp, in-8o, Lipsiæ, 1805. — Il est effectivement inadmissible que les Celtes, ayant pour les légendes de leurs monnaies des alphabets nationaux, comme les médailles le démontrent, aient employé, dans les détails de leur vie, des caractères étrangers.