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de l’utilité matérielle. Bien des guerres la divisaient, et cependant l’agriculture florissait chez elle, ses champs étaient cultivés et productifs. Malgré la difficulté de passer les montagnes et les forêts, de traverser les fleuves, son commerce allait chercher les peuples les plus septentrionaux du continent. De nombreux morceaux de succin, conservés bruts ou taillés en colliers, se rencontrent fréquemment dans ses tombeaux (1)[1], et l’identité, déjà signalée, ainsi que ce fait, de certaines monnaies rasènes avec des monnaies de la Gaule, démontre irrésistiblement l’existence de relations régulières et permanentes entre les deux groupes (2)[2].

À cette époque si reculée, les souvenirs ethniques encore récents des races européennes, leur ignorance des pays du sud, la similitude de leurs besoins et de leurs goûts, devaient tendre nécessairement à les rapprocher (3)[3]. Depuis la Baltique jusqu’à la Sicile (4)[4], une civilisation existait incomplète, mais



(1) Abeken, Unter-Italien, p. 267. — Voir la description que fait cet auteur du tumulus d’Alsium.

(2) Abeken, Unter-Italien, p. 282. — Aristote assure qu’une route allait d’Italie dans la Celtique et en Espagne.

(3) Tite-Live a pu écrire au sujet du roi Mézence : « Cœre opulento tam, oppido imperitans. »

(4) « Plus je m’avance profondément dans l’antiquité, dit Schaffarik, plus je demeure convaincu de la fausseté complète des opinions émises et reçues jusqu’ici sur la comparaison des peuples antiques du sud de l’Europe (des Grecs et des Romains) avec ceux du nord, principalement des riverains de la Vistule et de la Baltique, comparaison qui semblait convaincre ces derniers de sauvagerie, de rudesse et de misère, et rendre inadmissible toute idée de relations commerciales entre les deux groupes. » (Schaffarik, Slawische Alterthümer, t. I, p. 107, note 1.) — Voici, sur le même propos, un jugement de Niebuhr : « Les aborigènes sont dépeints par Salluste et Virgile comme des sauvages qui vivaient par bandes, sans lois, sans agriculture, se nourrissant des produits de la chasse et de fruits sauvages. Cette façon de parler ne parait être qu’une pure spéculation destinée à montrer le développement graduel de l’homme, depuis la rudesse bestiale jusqu’à un état de culture complète. C’est l’idée que, dans le dernier demi-siècle, on a ressassée jusqu’à donner le dégoût, sous le prétexte de faire de l’histoire philosophique. On n’a pas même oublié la prétendue misère idiomatique qui rabaisse les hommes au niveau de l’animal. Cette méthode a fait fortune, surtout à l’étranger

  1. (1) Abeken, Unter-Italien, p. 267. — Voir la description que fait cet auteur du tumulus d’Alsium.
  2. (2) Abeken, Unter-Italien, p. 282. — Aristote assure qu’une route allait d’Italie dans la Celtique et en Espagne.
  3. (3) Tite-Live a pu écrire au sujet du roi Mézence : « Cœre opulento tam, oppido imperitans. »
  4. (4) « Plus je m’avance profondément dans l’antiquité, dit Schaffarik, plus je demeure convaincu de la fausseté complète des opinions émises et reçues jusqu’ici sur la comparaison des peuples antiques du sud de l’Europe (des Grecs et des Romains) avec ceux du nord, principalement des riverains de la Vistule et de la Baltique, comparaison qui semblait convaincre ces derniers de sauvagerie, de rudesse et de misère, et rendre inadmissible toute idée de relations commerciales entre les deux groupes. » (Schaffarik, Slawische Alterthümer, t. I, p. 107, note 1.) — Voici, sur le même propos, un jugement de Niebuhr : « Les aborigènes sont dépeints par Salluste et Virgile comme des sauvages qui vivaient par bandes, sans lois, sans agriculture, se nourrissant des produits de la chasse et de fruits sauvages. Cette façon de parler ne parait être qu’une pure spéculation destinée à montrer le développement graduel de l’homme, depuis la rudesse bestiale jusqu’à un état de culture complète. C’est l’idée que, dans le dernier demi-siècle, on a ressassée jusqu’à donner le dégoût, sous le prétexte de faire de l’histoire philosophique. On n’a pas même oublié la prétendue misère idiomatique qui rabaisse les hommes au niveau de l’animal. Cette méthode a fait fortune, surtout à l’étranger (Niebuhr veut dire en France). Elle s’appuie de myriades de récits de voyageurs soigneusement recueillis par ces soi-disant philosophes. Mais ils n’ont pas pris garde qu’il n’existe pas un seul exemple d’un peuple véritablement sauvage qui soit passé librement à la civilisation, et que, là où la culture sociale a été imposée du dehors, elle a eu pour résultat la disparition du groupe opprimé, comme on l’a vu, récemment, pour les Natticks, les Guaranis, les tribus de la Nouvelle-Californie, et les Hottentots des Missions. Chaque race humaine a reçu de Dieu son caractère, la direction qu’elle doit suivre et son empreinte spéciale. De même, encore, la société existe avant l’homme isolé, comme le « dit très sagement Aristote ; le tout est antérieur à la partie et les auteurs du système du développement successif de l’humanité ne voient pas que l’homme bestial n’est qu’une créature dégénérée ou originairement un demi-homme. » (Rœm. Geschichte, t. I, p. 121.)