Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/297

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Tyrien seul sans mentionner les compagnons de ses voyages, et, au rebours, dans les grandes migrations, on a oublié généralement le nom du guide pour ne se souvenir que de celui des masses conduites. Puis, lorsque la lumière de l’histoire, devenue trop intense, empêche de telles confusions, on a toujours bien de la peine à distinguer, dans les actions et les succès d’un souverain éminent, ce qui constitue son œuvre personnelle de ce qui appartient à l’intelligence de sa nation.

À de pareils moments de la vie des sociétés, il est très difficile d’être un grand homme, puisqu’il n’y a pas moyen d’être un homme étrange. L’homogénéité du sang s’y oppose, et pour se distinguer du vulgaire il faut, non pas être autrement fait que lui, mais, au contraire, en lui ressemblant, dépasser toutes ses proportions. Quand on n’est pas très grand, on se perd toujours plus ou moins dans la multitude, et les médiocrités ne sont pas remarquées, puisqu’elles ne font que reproduire un peu mieux la physionomie commune. Ainsi les hommes d’élite demeurent isolés, comme le sont des arbres de haute futaie au milieu d’un taillis. La postérité, les découvrant de loin dans leur stature immense, les admire plus qu’elle ne fait leurs analogues à des époques où les principes ethniques trop nombreux et mal amalgamés font sortit la puissance individuelle de faits complètement différents.

Dans ces derniers cas, ce n’est plus uniquement parce qu’un homme a des facultés supérieures qu’il peut être déclaré grand. Il n’existe plus de niveau ordinaire ; les masses n’ont plus une manière uniforme de voir et de sentir. C’est donc tantôt parce que cet homme a saisi un côté saillant des besoins de son temps, ou bien même parce qu’il a pris son époque à rebours, qu’il se rend glorieux. Dans la première alternative, je reconnais



d’Hercule sans jamais mentionner ses compagnons, et les chefs de différents peuples voyageurs ne sont autres que la personnification des nations elles-mêmes ; Leck ou Tschek, suivant les légendes, a dirigé les exploits des Lecks, Suap ceux des Souabes, Saxneat ceux des Saxons, Francus ceux des Franks, etc. (Schaffarik, Slawische Alterthümer, t. I, p. 235.)