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les maîtres avaient eux-mêmes peu de besoins. Les repas étaient promptement apprêtés. Le chef du logis se chargeait, le plus souvent, de tuer les bœufs ou les moutons, et de jeter leurs quartiers dans les chaudières d’airain. Il y prenait plaisir. C’était une politesse envers ses hôtes que de ne pas laisser à des mains serviles le soin de leur bien-être. Y avait-il à faire dans le domaine œuvre de maçon ou de charpentier, le maître encore ne dédaignait pas de manier la doloire et la hache. Fallait-il garder les troupeaux, il n’y répugnait pas davantage. Soigner les arbres du verger, les tailler, les émonder, il s’en chargeait volontiers. En somme, les travaux des esclaves ne s’accomplissaient pas sans la participation du guerrier, tandis que les femmes, réunies autour de l’épouse, tissaient avec elle à la même toile, ou préparaient la laine des mêmes toisons.

Rien donc ne contribuait nécessairement à empirer la condition de l’esclave, puisque tout labeur était assez honorable pour que le chef de la maison y prît une part constante. Puis il y avait au logis identité d’idées et de langage. Le guerrier n’en savait guère plus long que ses serviteurs sur les choses du monde et de la vie. S’il arrivait un poète, un voyageur, un sage, qui, après le repas, eût quelques récits à faire entendre, les esclaves, rassemblés autour du foyer, avaient leur part de l’enseignement. Leur expérience se formait comme celle du plus noble champion. Les conseils de leur vieillesse étaient aussi bien accueillis que s’ils étaient sortis d’une bouche libre et illustre.

Que restait-il donc au maître ? Il lui restait toutes les prérogatives d’honneur, et encore des avantages positifs. Il était le seul homme de la maison, le pontife du foyer. Il avait seul le droit d’offrir des sacrifices. Il défendait la communauté, et, couvert de ses armes, superbement vêtu, prenait sa part de la liberté commune et du respect rendu à tous les citoyens de la cité. Mais, encore une fois, à moins que son caractère ne fût exceptionnellement cruel, qu’il n’exerçât sur ses entours l’action d’un insensé, ni la cupidité ni la coutume ne le portaient à opprimer son esclave, qui ne subissait d’autre malheur réel