Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/402

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qu’un jarl, un ariman, un véritable guerrier, ne se bornât pas à connaître le maniement des armes, du cheval et du gouvernail, l’art de la guerre, de toutes les sciences assurément les premières (1)[1] ; il fallait encore qu’il eût appris par cœur et fût en état de réciter les compositions qui intéressaient sa race ou qui de son temps avaient le plus de célébrité. Il devait de plus être habile à lire les runes, à les écrire et à expliquer les secrets qu’elles renfermaient (2)[2].

Qu’on juge de la puissante sympathie d’idées, de l’ardente curiosité intellectuelle qui, possédant toutes les nations germaniques, reliait entre eux les odels les plus éloignés, neutralisait chez leurs fiers possesseurs, et sous les rapports les plus nobles, l’esprit d’isolement, empêchait le souvenir de la commune origine de s’éteindre, et, si ennemis que les circonstances pussent les faire, leur rappelait constamment qu’ils pensaient, sentaient, vivaient sur le même fonds commun de doctrines, de croyances, d’espérances et d’honneur. Tant qu’il y eut un instinct qu’on put appeler germanique, cette cause d’unité fit son office. Charlemagne était trop grand pour la méconnaître ; il en comprenait toute la force et le parti qu’il en devait tirer. Aussi, malgré son admiration pour la romanité et son désir de restaurer de pied en cap le monde de Constantin, il n’eut jamais la moindre velléité de rompre avec ces traditions, bien que méprisées par la triste pédanterie gallo-romaine.

(1) La tactique germanique avait pour principe le coin ; on en attribuait l’invention à Odin. (W. MuUer, Altdeutsche Religion, p. 197.)

(2) Rigsmal, st. 39-42 : « Alors les fils du jarl grandirent ; ils domptèrent des étalons, peignirent des boucliers, aiguisèrent des flèches, taillèrent des bois de lance. Komer, le cadet, sut lire les runes, comprit les alphabets et les caractères divinatoires. Il apprit par là à dompter les hommes, à émousser les glaives, à contenir les mers. Il connut le langage des oiseaux, sut apaiser l’incendie, calmer les flots, guérir les chagrins. Quelquefois aussi il put se donner la force de huit hommes. Il lutta avec Rigr (le dieu) dans la science des runes et en toutes sortes de talents d’esprit ; il remporta la victoire. Alors il lui lut donné, il lui fut accordé de s’appeler Rigr lui-même, et d’être savant en toutes les choses de l’intelligence. » — Cette peinture hyperbolique de tout ce que devait savoir un jarl, ou noble, pour être digne de son titre, n’est assurément pas d’une race barbare.


  1. (1) La tactique germanique avait pour principe le coin ; on en attribuait l’invention à Odin. (W. Muller, Altdeutsche Religion, p. 197.)
  2. (2) Rigsmal, st. 39-42 : « Alors les fils du jarl grandirent ; ils domptèrent des étalons, peignirent des boucliers, aiguisèrent des flèches, taillèrent des bois de lance. Komer, le cadet, sut lire les runes, comprit les alphabets et les caractères divinatoires. Il apprit par là à dompter les hommes, à émousser les glaives, à contenir les mers. Il connut le langage des oiseaux, sut apaiser l’incendie, calmer les flots, guérir les chagrins. Quelquefois aussi il put se donner la force de huit hommes. Il lutta avec Rigr (le dieu) dans la science des runes et en toutes sortes de talents d’esprit ; il remporta la victoire. Alors il lui lut donné, il lui fut accordé de s’appeler Rigr lui-même, et d’être savant en toutes les choses de l’intelligence. » — Cette peinture hyperbolique de tout ce que devait savoir un jarl, ou noble, pour être digne de son titre, n’est assurément pas d’une race barbare.